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LES PRINCIPES DE LA CONNAISSANCE HUMAINE

l’Existence, tirée par abstraction de l’esprit et de l’idée, du percevant et du perçu, de tomber dans une franche contradiction et de jouer avec les mots.

Il me reste à présent à examiner les objections qui pourraient être faites du côté de la religion.

82. Quelques personnes croient qu’encore bien que les arguments qu’on tire de la raison, à l’appui de l’existence des corps, soient reconnus insuffisants et dénués de caractère démonstratif, les saintes Écritures sont si claires en ce point, que tout bon chrétien doit être assez convaincu, sans autre preuve, que les corps existent réellement, et sont quelque chose de plus que de simples idées. Car la Bible rapporte un nombre immense de faits qui supposent évidemment la réalité du bois et de la pierre, des montagnes et des rivières, des cités, des corps humains[1]. Je réponds à cela que nul écrit au monde, qu’il soit sacré ou profane, dans lequel ces mots et les autres du même genre sont pris dans l’acception vulgaire, ou de telle façon qu’ils veuillent dire quelque chose, n’est en danger d’avoir sa véracité mise en question par notre doctrine. Que toutes ces choses existent réellement, qu’il y ait des corps, qu’il y ait même des substances corporelles, selon le sens vulgaire des mots, on a montré que cela est conforme à nos principes. On a clairement expliqué la différence entre les choses et les idées, les réalités et les chimères (§§ 29, 30, 33, 36, etc.). Et je ne crois pas que l’Écriture mentionne en aucun lieu ni ce que les philosophes appellent Matière, ni l’existence des objets hors de l’esprit.

83. De plus, soit qu’il existe ou non des choses externes, on est d’accord à reconnaître que le véritable rôle des mots est de marquer nos conceptions, ou les choses en tant seulement qu’elles sont connues et perçues par nous. Il suit clairement de là que rien, dans les doctrines que nous avons exposées, n’est en opposition avec le droit usage et la signification du langage, et que le discours, de quelque espèce

  1. Telle était l’une des raisons alléguées par Malebranche en faveur de la réalité externe de la matière, qu’il aurait sans cela bornée volontiers à une existence purement intelligible, avec la pensée divine pour siège premier, et les esprits de l’homme pour participants, grâce à la vision en Dieu. Le théologien Norris, contemporain de Berkeley, avait embrassé sur ce sujet la doctrine de Malebranche. (Note de Renouvier.).