Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/104

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chanteurs pour la bien rendre sans changements ; la plupart de ces derniers prétendraient encore que la gamme n’est pas dans leur voix, parce qu’elle n’a pas été écrite pour eux.

À l’heure qu’il est, en Europe, avec le système de chant qui y est en vigueur (c’est le cas de le dire), sur dix individus qui se disent chanteurs, c’est tout au plus s’il serait possible d’en trouver deux ou trois capables de bien chanter, mais, là, tout à fait bien, avec correction, justesse, expression, dans un bon style et avec une voix pure et sympathique, une simple romance. Je suppose qu’on prenne l’un d’eux au hasard et qu’on lui dise : « Voici un vieil air bien simple, bien touchant, dont la douce mélodie ne module pas et reste enfermée dans la modeste étendue d’une octave, chantez-nous cela ; » il est très-possible que votre chanteur, qui peut-être est un illustre, extermine la pauvre fleurette musicale, et qu’en l’écoutant vous regrettiez quelque brave fille de village par qui vous aurez entendu fredonner autrefois le vieil air.

Aucune pensée musicale, aucune forme mélodique, aucun accent expressif ne résiste à l’affreux mode d’interprétation qui se répand de plus en plus aujourd’hui. Encore s’il était le seul ! mais nous avons de nombreuses variétés de chant anti-mélodiques. Il y a d’abord le chant innocemment bête, le chant plat, puis le chant prétentieusement bête, le chant orné de toutes les stupidités que le chanteur s’avise d’y introduire ; celui-ci est déjà fort coupable. Vient ensuite le chant vicieux, qui corrompt le public et l’attire dans de mauvaises routes musicales, par l’attrait d’une certaine exécution capricieuse, brillante, mais fausse d’expression, qui révolte à la fois le bon goût et le bon sens ; enfin nous avons le chant criminel, le chant scélérat, qui joint à sa scélératesse un fonds inépuisable de bêtise, qui ne procède que par grandes engueulées, se plaît

xxAux bruyantes mêlées,
Aux longs roulements des tambours,