Aller au contenu

Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/105

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux drames sombres, aux égorgements, aux empoisonnements, aux malédictions, aux anathèmes, à toutes les horreurs dramatiques enfin qui fournissent le plus d’occasions de donner de la voix. C’est ce dernier qui règne, dit-on, despotiquement en Italie à cette heure. Mais la cause, la cause ? dira-t-on. La cause, ou les causes, répondrai-je, sont faciles à trouver ; c’est le remède que l’on connaît moins, ou, pour parler franc, c’est le remède qu’on n’appliquera jamais, lors même qu’il serait connu et que son efficacité serait parfaitement démontrée. Les causes sont à la fois morales et physiques, toutes dépendantes les unes des autres ; et si les entreprises théâtrales n’avaient pas été de tout temps, presque partout, livrées aux mains de gens avides d’argent avant tout et ignorants des nécessités de l’art, ces causes n’existeraient pas.

Ce sont : la grandeur démesurée de la plupart des théâtres lyriques ;

Le système des applaudissements, salariés ou non ;

La prépondérance qu’on a laissé s’établir de l’exécution sur la composition, du larynx sur le cerveau, de la matière sur l’esprit, et trop souvent enfin la lâche soumission du génie à la sottise.

Les théâtres lyriques sont trop vastes. Il est prouvé, il est certain que le son, pour agir musicalement sur l’organisation humaine, ne doit pas partir d’un point trop éloigné de l’auditeur. On est toujours prêt à répondre, lorsqu’on parle de la sonorité d’une salle d’opéra ou de concert : Tout s’y entend fort bien. Mais j’entends aussi fort bien de mon cabinet le canon que l’on tire sur l’esplanade des Invalides, et cependant ce bruit, qui d’ailleurs est en dehors des conditions musicales, ne me frappe, ne m’émeut, n’ébranle mon système nerveux en aucune façon. Eh bien ! c’est ce coup, cette émotion, cet ébranlement que le son doit absolument donner à l’organe de l’ouïe, pour l’émouvoir musicalement, que l’on ne reçoit pas des groupes même les plus puissants de voix et d’instruments,