Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/174

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une tradition importante dont l’oubli affaiblirait l’effet de la péroraison de cette admirable scène. Voici en quoi elle consiste : à la fin du largo à trois temps qui précède la coda agitée « Fuyons, nul espoir ne nous reste, » le rôle du grand-prêtre indique, dans la partition, ces mots : « Votre roi va mourir ! » sous les notes ut ut ré ré ré fa, dans le medium et placées sur l’avant-dernier accord du chœur. À l’exécution, au contraire, le grand-prêtre attend que le chœur ne se fasse plus entendre, et au milieu de ce silence de mort il lance à l’octave supérieure son : « Votre roi va mourir ! » comme le cri d’alarme qui donne à cette foule épouvantée le signal de la fuite. Ce changement fut, dit-on, indiqué aux répétitions par Gluck lui-même, qui négligea de le faire reproduire dans sa partition.

Tous alors de se disperser en tumulte sur un chœur d’un admirable laconisme, abandonnant Alceste évanouie au pied de l’autel.

J. J. Rousseau a reproché à cet allegro agitato d’exprimer aussi bien le désordre de la joie que celui de la terreur. On peut répondre à cette critique que le musicien se trouvait là placé sur la limite ou sur le point de contact des deux passions, et qu’il lui était en conséquence à peu près impossible de ne pas encourir un pareil reproche. Et la preuve, c’est que, dans les vociférations d’une multitude qui se précipite d’un lieu à un autre, l’auditeur placé à distance ne saurait, sans être prévenu, découvrir si le sentiment qui agite la foule est celui de la frayeur ou d’une folle gaieté. Pour rendre plus complétement ma pensée, je dirai : Un compositeur peut bien écrire un chœur dont l’intention joyeuse ne saurait en aucun cas être méconnue, mais l’inverse n’a pas lieu ; et les agitations d’une foule traduites musicalement, quand elles n’ont pas pour cause la haine ou le désir de la vengeance, se rapprocheront toujours beaucoup, au moins pour le mouvement et le rhythme, du mouvement et des formes rhythmiques de la joie tumultueuse. On pourrait trouver à ce chœur un défaut plus réel au point de vue des néces-