Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/287

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sud m’apportait par lambeaux des profondeurs de la vallée. Que cette mélodie du bon Haydn est touchante ! Comme on y sent une sorte d’affectuosité religieuse ! C’est bien le chant d’un peuple qui aime son souverain. Notez que je ne dis pas le bon Haydn avec une intention railleuse ; non, Dieu m’en garde ! Je me suis toujours indigné contre Horace, ce poëte parisien de l’ancienne Rome, qui a osé dire :

Aliquando bonus dormitat Homerus.

Certes Haydn n’était pas un bonhomme, mais un homme bon ; et la preuve, c’est qu’il avait une femme insupportable qu’il n’a jamais battue, et par qui, dit-on, il s’est quelquefois laissé battre.

Enfin il a fallu redescendre ; la nuit était venue,

La lune, douce reine,
Planait en souriant.

J’ai retraversé la forêt de sapins, plus sonore et d’une meilleure sonorité que la plupart de nos salles de concerts. On y pourrait faire des quatuor. J’ai souvent pensé à une admirable chose que l’on devrait y exécuter par une belle nuit d’été, c’est l’acte des champs Élysées de l’Orphée de Gluck. Je crois entendre, sous ce dôme de verdure, dans une demi-obscurité, ce chœur des ombres heureuses dont les paroles italiennes augmentent le charme mélodieux :

Torna o bella all tuo consorte,
Che non vuol che più diviso
Sia di te pietoso il ciel.

Mais quand on a des velléités de musique dans les bois, c’est toujours à la suite d’un déjeuner où l’on a mangé du pâté ; ce sont alors des fanfares qu’on y exécute, fanfares de cors, de trompes de chasse, n’éveillant d’autres idées que celles des chiens, des piqueurs et des marchands de vin…