Page:Berlioz - À travers chants, 1862.djvu/35

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dans la mesure à trois temps. Quand à ce rhythme heurté viennent se joindre encore certaines rudes dissonances, comme celle que nous trouvons vers le milieu de la seconde reprise, où les premiers violons frappent le fa naturel aigu contre le mi naturel, quinte de l’accord de la mineur, on ne peut réprimer un mouvement d’effroi à ce tableau de fureur indomptable. C’est la voix du désespoir et presque de la rage. Seulement on peut se dire : Pourquoi ce désespoir ? pourquoi cette rage ? On n’en découvre pas le motif. L’orchestre se calme subitement à la mesure suivante ; on dirait que, brisé par l’emportement auquel il vient de se livrer, les forces lui manquent tout à coup. Puis ce sont des phrases plus douces, où nous retrouvons tout ce que le souvenir peut faire naître dans l’âme de douloureux attendrissements. Il est impossible de décrire, ou seulement d’indiquer, la multitude d’aspects mélodiques et harmoniques sous lesquels Beethoven reproduit son thème ; nous nous bornerons à en indiquer un d’une extrême bizarrerie, qui a servi de texte à bien des discussions, que l’éditeur français a corrigé dans la partition, pensant que ce fût une faute de gravure, mais qu’on a rétabli après un plus ample informé : les premiers et les seconds violons seuls tiennent en trémolo la seconde majeure si b, la b, fragment de l’accord de septième sur la dominante de mi bémol, quand un cor, qui a l’air de se tromper et de partir quatre mesures trop tôt, vient témérairement faire entendre le commencement du thème principal qui roule exclusivement sur les notes, mi, sol, mi, si. On conçoit quel étrange effet cette mélodie formée des trois notes de l’accord de tonique doit produire contre les deux notes dissonantes de l’accord de dominante, quoique l’écartement des parties en affaiblisse beaucoup le froissement ; mais, au moment où l’oreille est sur le point de se révolter contre une semblable anomalie, un vigoureux tutti vient couper la parole au cor, et, se terminant piano sur l’accord de la tonique, laisse rentrer les violoncelles, qui disent alors le thème tout entier sous l’harmonie