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Page:Berlioz - Correspondance inédite, 1879, 2e éd. Bernard.djvu/133

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s’assimiler plus de substance musicale, à s’étayer d’un plus grand nombre de points d’appui. Or, ce sont autant de chances de plus contre la facilité de l’exécution. Il faut un génie bien rare pour créer de ces choses que les artistes et le public saisissent de prime abord, et dont la simplicité est en raison directe de la masse, comme les pyramides de Djizeh. Malheureusement, je ne suis point de ceux-là ; j’ai besoin de beaucoup de moyens pour produire quelque effet, et je craindrais de perdre à tout jamais l’estime des amis de l’art musical, si, par une publication prématurée, j’exposais mes symphonies, trop jeunes pour voyager sans moi, à être mutilées plus cruellement encore que ma vieille ouverture. Ce qui, à part deux ou trois villes hospitalières et artistes comme la vôtre, leur arriverait partout, n’en doutez pas.

Et puis, vous le dirai-je, je les aime, ces pauvres enfants, d’un amour paternel qui n’a rien de spartiate, et je préfère mille fois les savoir obscures, mais intactes, à les envoyer au loin chercher la gloire ou d’affreuses blessures et la mort.

Je n’ai jamais compris, je l’avoue, au risque de paraître ridicule, comment les peintres riches pouvaient, sans un déchirement d’entrailles, se séparer de leurs plus beaux ouvrages pour quelques écus, et les disséminer aux quatre coins du monde, ainsi que cela se pratique journellement. Cela m’a paru toujours ressembler beaucoup à la cupidité du célèbre anatomiste Ruisch, qui, à la mort de sa fille, jeune personne de seize ans, ayant trouvé le moyen, grâce aux ingénieux procédés d’injection dont il est l’inventeur, de rendre pour toujours à ce cadavre chéri l’aspect de la