Page:Berlioz - Correspondance inédite, 1879, 2e éd. Bernard.djvu/26

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— Oui, j’aime Gluck, reprit Andrieux, qui ne s’était pas aperçu du geste de son interlocuteur et qui, appuyé sur sa canne, poursuivait à demi-voix une conversation intérieure… J’aime bien Piccini aussi.

— Ah ! dit Berlioz froidement, en reposant sa casserole[1].

L’admiration de Gluck était venue au futur symphoniste de fragments d’Orphée qu’il avait découverts dans la bibliothèque de son père, à la Côte-Saint-André. Peu à peu, il avait consacré ses petites économies à acheter des billets pour l’Opéra, où l’on jouait des ouvrages de Spontini, de Salieri, de Méhul, tous de l’école de Gluck. En fait d’amphithéâtre, il ne fréquentait plus guère que celui de l’Académie de musique, et le cousin Robert, ayant voulu l’emmener à l’hospice de la Pitié pour y disséquer des sujets, Berlioz se sauva par la fenêtre. Jour et nuit, on l’entendait fredonner : Descends dans le sein d’Amphitrite, ou : Jouissez au destin propice, ou quelque autre mélodie de ses compositeurs favoris. Je ne crois pas trop au coup de foudre, terrassant le sensible Hector et lui révélant une vocation jusque-là confuse ; cet événement extraordinaire se serait passé à une représentation des Danaïdes de Salieri[2]. Ce sont là des exagérations à l’adresse de la postérité et qu’on finit peut-être soi-même par croire exactes à force de les répéter aux gens. La froide raison ne tarde pas à abattre cet échafaudage de mélodrame ; car il n’est pas admissible qu’un penchant aussi inné que celui dont nous avons montré les germes se soit jamais démenti ni oublié. Les Danaïdes ont frappé une âme très-disposée à être frappée ; telle est la seule hypothèse vraisemblable et cette supposition n’a

  1. Cette anecdote est insérée dans les Mémoires, mais fort en abrégé. Je la donne telle que je la tiens d’un ami intime, à qui Berlioz l’avait racontée souvent.
  2. Mémoires, p. 21.