Page:Berlioz - Correspondance inédite, 1879, 2e éd. Bernard.djvu/266

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nouvelles qu’elle m’apporte, charmante de tout point. Je l’ai lue avec bonheur, comme un chat boit du lait.

Aussi ne tarderai-je pas à vous répondre. Je m’étais levé avec l’intention de travailler exclusivement à ma partition aujourd’hui ; mon feu était allumé, ma porte fermée ; pas d’importuns, pas de crétins possibles, et voilà votre lettre qui vient renverser tous mes beaux projets de travail, et je cède au plaisir de causer avec vous et je dis comme le Romain (sic) : « A demain les affaires sérieuses[1] ! » Non pas que je croie vous intéresser en vous répondant, mais je vous réponds avec un plaisir extrême ; c’est de l’égoïsme pur, concentré, sans alliage, un égoïsme élément (pour parler comme les chimistes).

Votre foi, votre ardeur, vos haines même, me ravissent. J’ai, comme vous, encore des haines terribles et des ardeurs volcaniques ; mais, quant à la foi, je crois fermement qu’il n’y a rien de vrai, rien de faux, rien de beau, rien de laid… N’en croyez pas un mot, je me calomnie… Non, non, j’adore plus que jamais ce que je trouve beau, et la mort n’a pas, à mon sens, de plus cruel inconvénient que celui-ci : ne plus aimer, ne plus admirer. Il est vrai qu’on ne s’aperçoit pas qu’on n’aime plus. Pas de philosophie, autrement dit, pas de bêtises.

Vous avez donc osé entreprendre une série de concerts, et à Berlin encore ! une ville, non pas glaciale (un bloc de glace est beau, cela rayonne, cela a du caractère), mais

  1. Chacun sait que ce n’est pas un Romain, mais Archias, tyran de Thèbes, qui prononça cette fameuse phrase, au milieu d’un repas. Nous avons cru, par excès de scrupule peut-être, devoir respecter le lapsus calami de Berlioz.