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Page:Berlioz - Correspondance inédite, 1879, 2e éd. Bernard.djvu/311

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toutes les charmantes flatteries des artistes et du grand-duc. Me voilà maintenant à Lowenberg chez le prince de Hohenzollern, que je n’avais pas revu depuis 1843. Hélas ! que de choses se sont passées pendant ces vingt ans ! Il est devenu, lui, impotent, goutteux ; mais sa gaieté lui est restée et son amour pour la musique semble avoir augmenté. Il m’adore littéralement. Son orchestre sait à fond toutes mes symphonies et ouvertures. Et c’est un charmant orchestre de cinquante musiciens musiciens. Le prince a fait construire, dans son château de Lowenberg, une délicieuse salle de concerts d’une sonorité parfaite, avec foyer derrière l’orchestre, bibliothèque musicale, tout ce qu’il faut. Il m’a donné un appartement à côté de ce bijou de salle, et tous les jours, à quatre heures, on entre dans mon salon m’annoncer que l’orchestre est réuni. J’ouvre deux portes et je trouve les cinquante artistes immobiles à leur poste, silencieux et bien d’accord. Ils se lèvent courtoisement quand je monte à mon pupitre ; je prends mon bâton, je marque le premier temps, et tout part. Et comme ils vont ces gaillards ! Figurez-vous qu’à la première répétition ils ont exécuté le FINALE d’Harold sans fautes, et l’adagio de Roméo et Juliette sans manquer un accent !… Le maître de chapelle Seifriz me disait après cet adagio : « Ah ! monsieur, quand nous… écoutons cette morceau, nous… toujours… en larmes ».

Savez-vous, chers amis, ce qui me touche le plus dans les témoignages d’affection que je reçois ? C’est de voir que je suis mort. Il s’est passé en vingt ans tant de choses que j’ai l’impertinence d’appeler progressives ! on m’exécute à peu près partout.