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Page:Berlioz - Correspondance inédite, 1879, 2e éd. Bernard.djvu/340

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le 15 et que c’est aujourd’hui le 13. J’espère que tu te débrouilleras au milieu de ce peuple de soldats et de passagers. J’approuve beaucoup ton idée d’avoir un home, un chez toi, et d’acheter des meubles ; mais tu ne crains donc pas que ton vaisseau ne vienne à être enradé dans un autre endroit que Saint-Nazaire ? au reste, tu ne dois pas ignorer cela. Je ne sais pas ce que tu peux avoir écrit à madame X***, mais je devine bien ce qu’elle a pu te répondre. Il faut de l’argent ! n’en fût-il plus au monde. Il faut rester à terre, à Grenoble, à Claix, être juge de paix, bon citoyen, savoir vendre son blé, ses moutons, son vin, etc. Alors on est un homme calé, on joue aux boules le dimanche, on a un tas de sales enfants que les grands-parents trouvent fort mal élevés ; on s’ennuie à devenir huître ; on a une femme qui grossit, qui devient obèse, et qu’on finit par ne plus pouvoir souffrir ; et l’on se dit : « Ah ! si c’était à recommencer ! »

Et alors on se sent furieux jusque dans la moelle des os ; car on vieillit, on voit sa vie s’écouler bêtement ; on a beaucoup d’argent qui est venu tard et dont on ne sait que faire ; et puis l’on meurt gros Jean comme devant.

Oh ! que je souffre ! si je pouvais, comme je me sauverais à Palerme, ou au moins à Nice ! Où la chèvre broute, il faut qu’elle soit attachée. Il fait un temps infâme ; à trois heures et demie, il faut allumer la lampe ! Ce soir est notre dîner du lundi, je me relèverai pour y aller. Je vais tâcher de dormir deux ou trois heures. Je n’ai pas reçu ces jours-ci de lettres de Genève ; il est vrai que je n’en attendais pas. Quand une lettre m’arrive, cela me remonte le cœur et l’esprit.