Page:Berlioz - Correspondance inédite, 1879, 2e éd. Bernard.djvu/37

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

plus inconcevable faiblesse a brisé ma volonté, je me suis abandonné au désespoir d’un enfant ; mais enfin j’en ai été quitte pour boire l’eau salée, être harponné comme un saumon, demeurer un quart d’heure étendu mort au soleil et avoir des vomissements violents pendant une heure ; je ne sais qui m’a retiré ou m’a vu tomber par accident des remparts de la ville. Mais enfin je vis, je dois vivre pour deux sœurs, dont j’aurais causé la mort par la mienne, et vivre pour mon art[1]… »

Il résulte de cette lettre que le pauvre amoureux, volontairement ou non, se serait laissé choir du haut des remparts de Gênes dans la Méditerranée ; les Mémoires sont muets sur cet accident. Ils se bornent à constater le repentir du fugitif, sa soudaine résolution de rebrousser chemin et enfin sa rentrée au bercail.

Rome, qui attire à elle tant de cœurs chrétiens et artistes, n’exerça qu’une influence médiocre sur son nouveau commensal. C’est que la musique y était négligée ou jetée dans une voie déplorable ; les Italiens abusaient déjà des orchestres bruyants ; ils raffolaient « des clarinettes cafardes, des trombones rugissants, des grosses caisses furibondes, des trompettes saltimbanques », ensemble instrumental désigné sous le nom de musique militaire. On chantait platement de plates cavatines dans les salons ; les théâtres, avec leurs habitudes méridionales, donnaient des opéras taillés sur le même patron, chantés par des gens prudents, incapables de ressentir la moindre émotion en scène ; Palestrina, dans les églises, n’existait plus qu’à l’état de souvenir. Pour une âme éprise des grandes émotions musicales, Rome, ce merveilleux musée des chefs-d’œuvre plastiques, représentait la solitude et le néant.

  1. Collection de M. le baron de Trimont.