Page:Berlioz - Correspondance inédite, 1879, 2e éd. Bernard.djvu/375

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour savoir si on m’accorde l’autorisation. Il faut passer par les mains des chefs et sous-chefs de division, qui ont l’air de faire une affaire d’État de ce qui n’est qu’une formalité. Dans mes deux précédents concerts, je m’en étais dispensé ; mais, comme cette fois, c’est le soir et dans un théâtre, les directeurs des Nouveautés ne veulent point prendre d’engagement décisif avec moi, avant d’avoir la pièce officielle de la police. D’un autre côté, M. de La Rochefoucauld pourrait, s’il voulait, empêcher ma soirée d’avoir lieu, car, dans ce pays de liberté, les musiciens sont au nombre des esclaves. D’un autre côté, le succès de ma symphonie n’est pas sûr ; le public sera moins musical dans cette saison que dans l’hiver ; toute la haute société qui a une espèce d’éducation musicale est à la campagne, et je doute que l’originalité de mon drame musical inspire assez d’intérêt pour faire revenir à Paris des gens de sang aussi froid. Puis, j’ai un autre sujet d’inquiétude, c’est celui de l’exécution : mon orchestre va être obligé de se frayer une route à travers une forêt vierge. Outre qu’il y a beaucoup de choses nouvelles pour eux, la plus grande difficulté est celle de l’expression. La première partie, surtout, est d’une telle fougue dans le mouvement et d’une si grande intensité de sentiment, qu’avant de pouvoir leur inculquer toutes mes intentions et qu’ils puissent les rendre, il faudra une patience angélique de la part du chef d’orchestre et un nombre très-considérable de répétitions. Heureusement, ce n’est pas plus difficile que l’ouverture des Francs-Juges (que je redonne encore), et elle a été sublimement exécutée.

Je suis déjà vos instructions quant au régime ; je mange ordinairement peu et ne bois presque plus de thé.