Page:Berlioz - Correspondance inédite, 1879, 2e éd. Bernard.djvu/57

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Par un assez étrange hasard, le sujet de Faust, si profondément tudesque et septentrional, doit à nos compositeurs nationaux une grande partie de sa popularité. Je me garderai bien de louer la Damnation au détriment de l’opéra, plus moderne, de M. Charles Gounod ; les deux œuvres ont des tendances diverses et se complètent l’une par l’autre. La scène du jardin : voilà le tendre et incomparable éclat qui illumine le Faust de M. Gounod. Mais, à propos d’illumination, je me rappelle qu’un soir, à l’Opéra, mes yeux ne pouvaient se détacher du petit appareil de lumière électrique qui, placé dans les combles du théâtre, versait des feux artificiels sur le jardin de Marguerite. J’avais beau me dire : « Me voilà loin de Paris, dans une vieille cité aux enseignes grimaçantes, sous les arbres, près des fleurs ; l’orchestre prend le soin de traduire en sons merveilleux les sentiments que ma pauvre petite éloquence serait incapable d’exprimer… » — Peine perdue ! la machine électrique de là haut m’ôtait toute illusion ; elle me rappelait à la prosaïque réalité, elle me chuchotait dans son langage de machine : « Ne sois pas dupe de ces gens qui s’agitent là sur les planches et qui s’abîment la voix pour gagner de quoi acheter plus tard une maison de campagne où ils iront abriter leur esquinancie. Méphistophélès meurt d’envie de s’aller coucher ; Faust n’a qu’une pensée : ménager ses notes hautes, aussi précieuses pour lui que des obligations de chemins de fer. Quant à Marguerite, qui débute, et qui a refusé, le jour même, un engagement pour la province, elle réfléchit qu’elle a eu tort de ne pas accepter les offres qu’on lui faisait. »

Avec le Faust de Berlioz, de pareilles désillusions ne sont pas à craindre. Comme il n’y a ni décors, ni coulisses, ni rampes, ni maillots, ni pourpoints, ni ballerines, ni marcheuses, ni même de souffleur, la musique se charge de tous les frais et vous emporte toute seule sur l’aile des