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Page:Berlioz - Correspondance inédite, 1879, 2e éd. Bernard.djvu/58

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chimères. Un décor ?… À quoi bon ? Le musicien vous conduit où vous voulez en vingt-cinq mesures. Voulez-vous boire avec les étudiants dans la taverne d’Auerbach ?… À merveille ! buvez. Le magicien donne un nouveau coup de sa baguette ? Nous voici sur les bords de l’Elbe, près des sylphes qui frôlent les calices humides de rosée, sous les étoiles qui nous regardent en clignotant, comme des curieuses qu’elles sont de ce qui se passe chez nous… Attention ! Nous avons eu à peine le temps de tourner la tête et le diable nous tient déjà compagnie devant la maison de Marguerite : Petite Louison, que fais-tu dès l’aurore… Oui, cet enchanteur de Berlioz dédaigne les machinistes ; sans le secours de leur métier, il nous fait voyager, tout simplement, dans le ciel et dans les enfers, sur la terre et sur l’onde, dans les nuages, dans l’Empyrée, dans le passé et dans l’avenir.

La Damnation de Faust rivalise avec les ouvrages des plus grands maîtres et n’est pas effacée par eux ; elle lutte contre le poëme de Gœthe sans se laisser dominer par lui, elle rencontre Schubert et sa Marguerite au rouet ; Schubert est vaincu. Mais savez-vous à quel sublime génie cette partition fait surtout songer ?… Quand vous entendez la dernière partie de l’œuvre, quand vous suivez la « course à l’abîme », si vertigineuse qu’un frisson vous saisit comme si vous étiez sur le bord d’un précipice, quand les horribles cris des démons saluent la chute de Méphisto et de sa victime, quand l’orchestre se livre à des saturnales enragées auxquelles succèdent les ineffables joies du paradis, quand vous écoutez le langage de Swedenborg mêlé aux hymnes des élus, oh ! alors, savez-vous à qui vous pensez ? Vous songez involontairement à Michel-Ange ; oui, vous revoyez en imagination les gigantesques peintures de la chapelle Sixtine, et aucune autre comparaison ne peut s’offrir à votre