Page:Berlioz - Correspondance inédite, 1879, 2e éd. Bernard.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est probable ; il n’en a pas moins risqué sa fortune et son avenir.

M. Alexandre, le plus intime ami de Berlioz, aujourd’hui son exécuteur testamentaire, me disait l’autre jour : « Le monde musical doit beaucoup à Carvalho ; il ne m’appartient pas d’énumérer tout ce que l’art lui doit de reconnaissance ; je n’ai aucune autorité pour le faire ; mais ce que j’ai le devoir de vous prier de consigner dans cette notice, pour laquelle vous me demandez des renseignements, c’est le cœur, le dévouement, le désintéressement de Carvalho pour monter les Troyens, autant que faire se pouvait, d’une façon digne du maître que personne, plus que lui, ne respectait ni n’admirait.

» Carvalho, oubliant tout pour une aussi grande question artistique, fit des sacrifices tels, qu’ils pesèrent sur sa vie entière. Voilà ce qu’il ne faut pas oublier. »

Ce n’est pas à nous à le lui reprocher et personne n’oserait le faire.

Les Troyens avaient été la suprême espérance de Berlioz ; leur chute causa sa longue agonie de six ans. À partir de ce moment, ses idées devinrent de plus en plus sombres ; les souffrances physiques ne lui laissèrent plus aucun repos. Il avait tant compté sur son opéra ! Au sortir de la répétition générale, il était allé chez madame d’Ortigue, la digne femme d’un de ses plus vieux amis. Il lui avait fait l’effet d’un spectre, tant il était pâle, maigre, décharné : « Qu’y a-t-il, s’écria-t-elle effrayée ? Est-ce que la répétition aurait mal tourné, par hasard ?… — Au contraire, dit l’autre en se laissant tomber sur une chaise. C’est beau, c’est sublime !… » — Et il se mit à pleurer[1].

Il était déjà affaibli et malade ; dans sa jeunesse, il

  1. Renseignements fournis par madame d’Ortigue.