Page:Berlioz - Les Grotesques de la musique, 1859.djvu/117

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

lui, l’Opéra, n’en était encore qu’aux diables bleus (blue devils).

Eh bien ! cet insatiable Opéra-Comique n’a jamais pu se consoler du départ de ce Robert-le-Diable ; pendant longtemps, pendant très-longtemps, sa grotte s’est obstinée à ne pas retentir de ses chants. Rien ne lui réussissait ; il faisait des efforts du diable pour attirer le public, et le public se sauvait comme un beau diable. Il engageait de jeunes actrices, il faisait travailler de jeunes auteurs ; mais, bah ! toutes ces jeunesses n’avaient que la beauté du diable, et cela devenait vieux en fort peu de temps, tandis que ce diable de Robert-le-Diable faisait un bruit du diable dans toute l’Europe et précipitait trois fois par semaine une foule infernale dans le gouffre du grand Opéra.

Voici une anecdote qui montre avec quel respect et quelle terreur religieuse les acteurs de l’Opéra-Comique prononcent le nom du malin esprit. Un jour (oui, c’était en plein jour), dans une cérémonie tristement grave, l’un d’eux eut à prononcer l’éloge d’un compositeur d’un grand talent récemment enlevé à l’art. Il lut son oraison funèbre d’une façon assez naturelle et convenable tant qu’il y fut question de choses humaines et surterraines seulement. Mais quand, arrivé à l’énumération des œuvres du compositeur, il fallut prononcer le nom de l’esprit des ténèbres qui sert de titre à l’une de ces œuvres, vous eussiez vu et entendu une étrange et admirable transformation des traits et de la voix de l’orateur. Son visage s’assombrit, ses sourcils se fron-