Page:Berlioz - Les Grotesques de la musique, 1859.djvu/249

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illustrer des médiocrités, que l’élégie, devenue lieu commun, méfait peur, surtout quand il s’agit de parler de choses et d’êtres essentiellement dignes d’admiration. Je ne sais bien faire d’ailleurs qu’une espèce d’oraison funèbre, celle des artistes médiocres vivants.

Et puis, le dirai-je ? je blâmais en ma conscience cette course au million entreprise par Mme Sontag, et poursuivie jusqu’au sommet des Andes. Je ne pouvais me faire à la voir si âpre au gain, elle, une artiste, une artiste sainte, possédant réellement tous les dons de l’art et de la nature : la voix, le sentiment musical, l’instinct dramatique, le style, le goût le plus exquis, la passion, la rêverie, la grâce, tout, et quelque chose de plus que tout. Elle chantait les bagatelles sonores, elle jouait avec les notes comme jamais jongleur indien ne sut jouer avec ses boules d’or ; mais elle chantait aussi la musique, la grande musique immortelle, comme les musiciens rêvent parfois de l’entendre chanter. Oui, elle pouvait tout interpréter, même les chefs-d’œuvre ; elle les comprenait comme si elle les eût faits. Je n’oublierai jamais mon étonnement un soir à Londres. J’assistais à une représentation du Figaro de Mozart. Quand, dans la scène nocturne du jardin, Mme Sontag vint soupirer ce divin monologue de femme amoureuse que je n’avais jusque-là jamais entendu que grossièrement exécuté ; à cette mezza voce si tendre, si douce et si mystérieuse en même temps, cette musique secrète, dont j’avais pourtant le mot, me parut mille fois