Page:Berlioz - Les Grotesques de la musique, 1859.djvu/253

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Gagnez des millions et vous construirez de belles salles de concerts faites pour la musique et non pour des bals et des festins patriotiques, ou destinées à devenir plus tard des greniers à foin.

Vous y donnerez de véritables concerts, rarement ; car la musique n’est pas destinée à prendre place parmi les jouissances quotidiennes de la vie, comme le boire, le manger, le dormir ; je ne sais rien d’odieux comme ces établissements où bouillotte invariablement chaque soir le pot au feu musical. Ce sont eux qui ruinent notre art, le vulgarisent, le rendent plat, niais, stupide, qui l’ont réduit à n’être plus à Paris, qu’une branche de commerce, que l’art de l’épicerie en gros.

Gagnez des millions et vous détruirez d’une main en édifiant de l’autre, et vous civiliserez artistement une nation. Alors on vous pardonnera votre richesse et l’on vous louera même d’avoir pris tant de peine à l’acquérir, d’être allée la chercher à Mexico, à Rio, à San-Francisco, à Sydney, à Calcutta.

Mais du diable si un tel rêve préoccupe jamais une cantatrice ni un chanteur à millions ; et je suis bien sûr que ceux qui vont lire cette inconvenante sortie, si tant est que j’aie des lecteurs parmi les gens à millions, vont me regarder comme le plus rare imbécile. Imbécile, oui, mais rare, non. Nous sommes par le monde un assez bon nombre de gens de cette trempe, dont le mépris pour les millions inintelligents est cent millions de fois plus vaste et plus profond que l’Océan.