Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/105

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l’Opéra ? Plusieurs journaux annoncent cette réforme, à laquelle nous ne croirons pas, même si nous en sommes témoins. La claque, en effet, est devenue un besoin de l’époque : sous toutes les formes, sous tous les masques, sous tous les prétextes, elle s’est introduite partout. Elle règne et gouverne, au théâtre, au concert, à l’Assemblée nationale, dans les clubs, à l’église, dans les sociétés industrielles, dans la presse et jusque dans les salons. Dès que vingt personnes assemblées sont appelées à décider de la valeur des faits, gestes ou idées d’un individu quelconque qui pose devant elles, on peut être sûr que le quart au moins de l’aréopage est placé auprès des trois autres quarts pour les allumer, s’ils sont inflammables, ou pour montrer seul son ardeur, s’ils ne le sont pas. Dans ce dernier cas, excessivement fréquent, cet enthousiasme isolé et de parti pris suffit encore à flatter la plupart des amours-propres. Quelques-uns parviennent à se faire illusion sur la valeur réelle des suffrages ainsi obtenus ; d’autres ne s’en font aucune et les désirent néanmoins. Ceux-là en sont venus à ce point, que, faute d’avoir à leurs ordres des hommes vivants pour les applaudir, ils seraient encore heureux des applaudissements d’une troupe de mannequins, voire même d’une machine à claquer ; ils tourneraient eux-mêmes la manivelle.

Les claqueurs de nos théâtres sont devenus des praticiens savants ; leur métier s’est élevé jusqu’à l’art.

On a souvent admiré, mais jamais assez, selon moi, le talent merveilleux avec lequel Auguste dirigeait les grands ouvrages du répertoire moderne, et l’excellence des conseils qu’en mainte circonstance il donnait aux auteurs. Caché dans une loge du rez-de-chaussée, il assistait à toutes les répétitions des artistes, avant de faire faire la sienne à son armée. Puis, quand le maestro venait lui dire : « Ici, vous donnerez trois salves, là, vous crierez bis, » il lui répondait avec une assurance imperturbable, selon le cas : « Monsieur, c’est dangereux, » ou bien : « Cela se fera, » ou : « J’y réfléchirai, mes idées là-dessus ne sont pas encore arrêtées. Ayez quelques amateurs pour attaquer, et je les suivrai si cela prend. »