Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/106

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Il arrivait même à Auguste de résister noblement à un auteur qui eût voulu lui arracher des applaudissements dangereux, et de lui répondre : « Monsieur, je ne le puis. Vous me compromettriez aux yeux du public, aux yeux des artistes et à ceux de mes confrères, qui savent bien que cela ne doit pas se faire. J’ai ma réputation à garder : j’ai, moi aussi, de l’amour-propre. Votre ouvrage est très-difficile à diriger, j’y mettrai tous mes soins, mais je ne veux pas me faire siffler. »

A côté des claqueurs de profession, instruits, sagaces, prudents, inspirés, artistes enfin, nous avons les claqueurs par occasion, par amitié, par intérêt personnel ; et ceux-là on ne les bannira pas de l’Opéra. Ce sont : les amis naïfs, qui admirent de bonne foi tout ce qui va se débiter sur la scène devant que les chandelles soient allumés (Il est vrai de dire que cette espèce d’amis devient de jour en jour plus rare ; ceux, au contraire, qui dénigrent avant, pendant et après, multiplient énormément) ; les parents, ces claqueurs donnés par la nature ; les éditeurs, claqueurs féroces, et surtout les amants et les maris. Voilà pourquoi les femmes, outre une foule d’autres avantages qu’elles possèdent sur les hommes, ont encore une chance de succès de plus qu’eux. Car une femme ne peut guère dans une salle de spectacle ou de concert applaudir d’une façon utile son mari ou son amant ; elle a, d’ailleurs, toujours quelque autre chose à faire ; tandis que ceux-ci, pourvu qu’ils aient les moindres dispositions naturelles ou les notions élémentaires de l’art peuvent au théâtre, au moyen d’un habile coup de main, et en moins de trois minutes, amener un succès de renouvellement, c’est-à-dire un succès grave et capable d’obliger un directeur à renouveler un engagement. Les maris, pour ces sortes d’opérations, valent même mieux que les amants. Ces derniers craignent d’ordinaire le ridicule ; ils craignent aussi in petto de se créer par un succès éclatant un trop grand nombre de rivaux ; ils n’ont pas non plus d’intérêt d’argent dans les triomphes de leurs maîtresses ; mais le mari, qui tient les cordons de la bourse, qui sait ce que peuvent rapporter un