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Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/108

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lors même que ces bruits n’expriment ni l’admiration ni le blâme. L’habitude, l’imagination et un peu de faiblesse d’esprit leur font ressentir de la joie ou de la peine, selon que l’air, dans une salle de spectacle, est mis en vibration d’une ou d’autre façon. Le phénomène physique, indépendamment de toute idée de gloire ou d’opprobre, y suffit. Je suis certain qu’il y a des acteurs assez enfants pour souffrir quand ils voyagent en chemin de fer, à cause du sifflet de la locomotive.

L’art de la claque réagit même sur l’art de la composition musicale. Ce sont les nombreuses variétés de claqueurs italiens, amateurs ou artistes, qui ont conduit les compositeurs à finir chacun de leurs morceaux par cette période redondante, triviale, ridicule et toujours la même, nommée cabaletta, petite cabale, qui provoque les applaudissements. La cabaletta ne leur suffisant plus, ils ont amené l’introduction dans les orchestres de la grosse caisse, grosse cabale qui détruit en ce moment la musique et les chanteurs. Blasés sur la grosse caisse et impuissants à enlever les succès avec les vieux moyens, ils ont enfin exigé des pauvres maestri des duos, des trios, des chœurs à l’unisson. Dans quelques passages, il a même fallu mettre à l’unisson les voix et l’orchestre ; produisant ainsi un morceau d’ensemble à une seule partie, mais où l’énorme force d’émission du son paraît préférable à toute harmonie, à toute instrumentation, à toute idée musicale enfin, pour entraîner le public et lui faire croire qu’il est électrisé.

Les exemples analogues abondent dans la confection des œuvres littéraires.

Pour les danseurs, leur affaire est toute simple ; elle se règle avec l’impresario : « Vous me donnerez tant de mille francs par mois, tant de billets de service [1] par représentation, et la claque me fera une entrée, une sortie, et deux salves à chacun de mes échos [2]. »

  1. Les billets de service sont ceux auxquels un acteur a droit les jours où il joue.
  2. Les échos sont les solos d’un danseur dans un morceau d’ensemble chorégraphique.