Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/130

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au courant ici de ce que vous prétendez être connu de tout le monde. Ainsi parlez. »

Les autres musiciens : « Parlez ! racontez-nous l’Opéra.

Si tantus amor casus cognoscere nostros.....

— Que dit-il ? demande Bacon, pendant que le cercle se forme autour de moi. — Il dit, répond Corsino, que, si nous avons tant de désir de connaître les malheurs des Parisiens…, il faut nous taire et prier notre joueur de grosse caisse de ne pas frapper si fort. — C’est encore dans Virgile ? — Précisément. — Pourquoi parle-t-il ainsi grec de temps en temps ? — Parce que cela donne un air savant qui impose. C’est un petit ridicule que nous devons lui passer. — Il commence, chut !

— Connaissez-vous, messieurs, une fable de notre la Fontaine commençant par ces deux vers :

Un jour sur ses longs pieds allait je ne sais où Le héron au long bec emmanché d’un long cou.

— Oui, oui ! qui ne connaît pas cela ? Vous nous prenez pour des Botocudos ! — Eh bien, l’Opéra, ce grand théâtre avec son grand orchestre, ses grands chœurs, la grande subvention que lui paye le gouvernement, son nombreux personnel, ses immenses décors, imite en plus d’un point le piteux oiseau de la fable. Tantôt on le voit immobile, dormant sur une patte ; tantôt il chemine d’un air agité et va on ne sait où, cherchant pâture dans les plus minces ruisseaux, ne faisant point fi du goujon qu’il dédaigne d’ordinaire et dont le nom seul irrite sa gastronomique fierté.

Mais le pauvre oiseau est blessé dans l’aile, il marche et ne peut voler, et ses enjambées, si précipitées qu’elles soient, le conduiront d’autant moins au but de son voyage, qu’il ne sait pas lui-même vers quel point de l’horizon il doit se diriger.

L’Opéra voudrait, comme le veulent tous les théâtres, de l’argent et des honneurs ; il voudrait gloire et fortune. Les