Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/144

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américain, veux-tu dire, Yankee ! — Lis donc, toi, Corsino. — J’ai l’accent italien. — Toi, Kleiner. — J’ai l’accent allemand ; lis toi-même, Dimsky. — J’ai l’accent polonais. — Allons ; je vois que c’est une conspiration pour me faire lire la brochure, sous prétexte que je suis Français. Donnez. »

Winter me tend l’opuscule, et, pendant l’exécution d’un long trio chanté comme il mérite de l’être, je lis ce qui suit. QUELQUES MOTS SUR L’ÉTAT PRÉSENT DE LA MUSIQUE, SES DÉFAUTS, SES MALHEURS ET SES CHAGRINS

Le moment est peu favorable, on le sait, au mouvement des arts ; aussi la musique ne se meut-elle guère, elle dort ! on la dirait morte, n’étaient les mouvements fébriles de ses mains, qui s’ouvrent toutes grandes et se referment convulsivement pendant son sommeil, comme si elles avaient à saisir quelque chose. Puis elle rêve et parle tout haut en rêvant. Son cerveau est plein de visions étranges ; elle interpelle le ministre de l’intérieur ; elle menace, elle se plaint. « Donnez-moi de l’argent, crie-t-elle d’une voix sourde et gutturale, donnez-moi beaucoup d’argent, ou je ferme mes théâtres, ou je donne un congé illimité à mes chanteurs ; et, ma foi ! Paris, la France, l’Europe, le monde et le gouvernement s’arrangeront ensuite comme ils pourront. Le public payant ne vient pas chez moi, est-ce ma faute ? Il ne veut même plus venir sans payer, est-ce ma faute ? Et si je n’ai pas d’argent pour le faire venir en le payant, est-ce ma faute ? Ah ! si j’en avais pour acheter les auditeurs, vous verriez la foule qu’il y aurait à mes fêtes, et comme le commerce et les arts refleuriraient, et comme l’univers renaîtrait à la joie et à la santé, et comme nous pourrions nous moquer ensemble de ces insolents virtuoses, de ces orgueilleux compositeurs, qui prétendent que je n’ai rien d’artiste ni de musical et que mon titre n’est qu’un mensonge. » Mais bah ! le ministre se moque de ses menaces comme de ses plaintes ; il renfonce aux profondeurs de sa poche les plus inconnues la clef de son coffre-fort, et répond tranquillement avec un