Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/145

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terrible bon sens : « Oui, j’apprécie tes raisons, ma pauvre Musique, tu voudrais être indemnisée de tes pertes, à la condition que, si jamais tu fais des bénéfices, tu les garderas. Voilà un système commode, excellent, délicieux pour toi ; je l’admire, mais je m’abstiens de le mettre en pratique. Ces propositions-là se font à des brigands de monarques, à des scélérats d’empereurs, à d’affreux souverains absolus roulant sur l’or, gorgés des sueurs du peuple, non aux ministres d’une jeune république, affectée en naissant de certains vices de constitution qui l’obligent à se préoccuper avant tout de sa petite santé. Et dans nos temps de choléra les médecins sont chers. D’ailleurs, ces chefs des gouvernements sans liberté, sans égalité et sans paternité, ces rois eux-mêmes, puisqu’il faut les appeler par leur nom, ne se rendraient pas sans doute aux premiers mots de ton irrévérencieuse sommation. La plupart de ces fainéants ont consacré beaucoup de temps aux arts et à la littérature, quelques-uns te connaissent, ma vieille Musique, et ne feraient grâce à aucun de tes défauts. Ils seraient capables de te dire : Si les gens de la bonne compagnie s’éloignent de vous, mademoiselle, c’est que vous fréquentez trop les gens de la mauvaise. Si votre bourse est vide, c’est que vous dépensez trop en colifichets, en parures d’un goût douteux, en oripaux, clinquants de toute espèce, coûteuses inutilités qui conviennent aux danseuses de corde seulement. Si vos affaires, aujourd’hui, vont mal, si vos entreprises échouent, si l’on se moque de vous, si vous vous ruinez, ne vous en prenez qu’aux détestables conseils que vous écoutez, et à votre obstination à repousser les avertissements sensés que le hasard parfois fait parvenir jusqu’à votre oreille. D’ailleurs, où avez-vous pris vos conseillers, vos économes, vos directeurs de conscience ? Sotte que vous êtes ! n’est-il pas évident que ceux qui vous entourent sont vos plus cruels ennemis ? Les uns, qui n’aiment rien au monde, vous haïssent d’autant plus qu’ils sont forcés d’avoir l’air de vous aimer ; les autres vous détestent parce qu’ils ne connaissent rien de ce qui vous concerne, et qu’ils sentent intérieurement l’immense ridicule dont ils se couvrent en