Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/149

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n’excite pas leurs applaudissements, je n’en obtiens pas d’autres ; on dit alors que je n’ai pas de succès ; on en conclut que je n’ai pas de talent ; le public, qui l’entend dire, le croit et ne vient pas chez moi : de là ma misère et mon désespoir ! Oh ! vous ne savez pas, vous ne saurez jamais, monsieur le ministre, ce que c’est que de crier dans le désert.

»Un auditoire chèrement payé par la nation vous est assuré pour vos moindres discours, et je serais bien heureuse d’avoir ce qui vous reste aux jours des plus maigres assemblées de représentants. Au moins, là, si vous êtes souvent interrompu, interpellé, injurié même, c’est la preuve qu’on vous écoute d’une manière plus ou moins tumultueuse, et qu’on se passionne pour ou contre vos idées ; c’est la douleur souvent, mais c’est la vie. Dans mes théâtres, j’ai le cœur broyé par ce dédain suprême, par cette indifférence outrageante d’un public préoccupé de tout, excepté de moi ; qui se croît blasé, et qui n’a jamais rien senti ; qui sait tout, comme les marquis de Molière, sans avoir rien appris, d’un public habile à railler seulement, et qui ne daigne jamais siffler mes incartades, parce que cela lui paraît de mauvais goût, ou lui donne trop de peine, ou peut-être, et j’en frémis, parce qu’il ne les remarque pas. Vous allez me dire, je le sais, que toutes ces raisons sont insuffisantes à justifier les vices honteux auxquels je reconnais m’être livrée ; vous citerez un aphorisme célèbre du plus grand des poëtes, et vous me répéterez avec lui qu’il vaut mieux mériter le suffrage d’un seul homme de goût que d’exciter par des moyens indignes de l’art les applaudissements d’une salle pleine de spectateurs vulgaires. Hélas ! le poëte a mis cette noble phrase dans la bouche d’un jeune prince à qui les atteintes de la faim, du froid, de la misère étaient inconnues ; et je répondrai comme lui eussent sans doute répondu, s’ils l’eussent osé, les comédiens auxquels il donnait ses conseils : Qui plus que moi souffre de l’avilissement où je me vois réduite ! Mais les nécessités de la vie me l’imposent impérieusement, et je ne pourrais pas même obtenir le suffrage d’un seul homme de goût si je n’existais pas. Faites que ma vie soit assurée sans être même brillante comme