Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/148

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faits dans les théâtres : il serait trop long de remettre sous vos yeux tout ce que vous pratiquez ailleurs. Allez, vous nous faîtes pitié, mais nous gardons notre or pour de plus dignes. Eh quoi ! des menaces !… La déplaisante folle !… Eh ! partez ! qui vous retient ? En votre absence, nos États n’en iront pas plus mal. Nous vous regretterons ?… Non, vous êtes, ma mie,

Un peu trop forte en gueule et trop impertinente.

Voilà l’aimable compliment avec lequel, malheureuse Muse, ils pourraient bien te mettre à la porte, ces impitoyables souverains. Nous autres républicains, à l’épreuve de l’air patriotique et accoutumés à entendre chanter faux, nous te serons moins rudes. Nous ne te forcerons point à quitter la belle France, et tu seras libre d’y mourir de ta mort naturelle quand tu n’auras plus ni feu ni lieu. — La Musique ouvrant les yeux et pleurant : « Oui, je mourrai, et d’une mort lente et ignominieuse, je n’en doute plus. Vous avez cru que je dormais, je n’ai que trop bien entendu les horribles choses que vous venez de m’adresser. Et pourtant est-il humain à vous, monsieur le ministre, est-il même juste de me reprocher les accointances auxquelles je suis condamnée, les faux amis que je fréquente forcément, et qui, de plus, me traitant en esclave, me donnent des ordres révoltants et m’imposent leurs plus folles volontés ? Est-ce moi qui me suis donné ces terribles associés ? sont-ils de mon choix, ou de celui de vos prédécesseurs qui m’ont livrée à eux enchaînée et sans défense ? Vous ne l’ignorez pas ; de ce côté-là au moins, je suis innocente. Je sais que mes menaces de clôture sont ridicules ; c’est par habitude que je les répétais tout à l’heure. Hélas ! Je ne l’ai que trop appris dernièrement ! j’ai fermé mes théâtres sous prétexte de réparations, et les Parisiens s’en sont inquiétés comme des réparations qu’on ferait à la grande muraille de la Chine. Vous me reprochez mes excès vocaux ; vous avez raison, je le sens en mon âme, mais je ne vis depuis dix ans en Italie que par eux. En France, où le public des théâtres se fait représenter par des gens à gages placés au centre du parterre, je ne puis exister qu’en flattant ces gens-là, et ces débauches de chant les ravissent. Si je