Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/195

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maintenant. Il semble au bon sens le plus vulgaire que le goût du public devrait être formé par eux, mais c’est malheureusement au contraire celui des artistes, qui est déformé et corrompu par le public.

Il ne faut pas argumenter en sa faveur de ce qu’il adopte et fait triompher de temps en temps quelque bel ouvrage. Cela prouve seulement, bien que le moindre grain de mil eût fait mieux son affaire, qu’il a par mégarde avalé une perle, et que son palais est encore moins délicat que celui du coq de la fable, qui ne s’y trompait pas. Sans cela, en effet, si c’est parce qu’ils sont beaux que le public a applaudi certains ouvrages, il aurait, par la raison contraire, en d’autres occasions, manifesté une indignation courroucée, il aurait demandé un compte sévère de leurs œuvres aux hommes qui sont venus si souvent devant lui souffleter l’art et le bon sens. Et il est loin de l’avoir fait. Quelque circonstance étrangère au mérite de l’ouvrage en aura donc amené le succès ; quelque jouet sonore aura amusé ces grands enfants ; ou bien une exécution entraînante de verve ou d’un luxe inaccoutumé les aura fascinés. Car, à Paris du moins, en prenant le public au dépourvu, avant qu’il ait eu le temps de se faire faire son opinion, avec une exécution exceptionnelle par l’éclat de ces qualités extérieures, on lui fait tout admettre.

On conçoit maintenant qu’il faille se féliciter de l’abandon où les théâtres de France laissent les partitions monumentales, puisque l’oblitération du sens expressif du public étant évidente et éprouvée comme elle l’est, il ne reste de chances de succès pour des miracles d’expression, comme la Vestale et Cortez, que dans une exécution impossible à obtenir aujourd’hui.

A l’époque où Spontini vint en France, l’art du chant orné chez les femmes, n’était sans doute pas aussi avancé qu’il l’est maintenant, mais à coup sûr le chant large, dramatique, passionné, existait pur de tout alliage ; il existait, du moins à l’Opéra. Il y avait alors une Julia, une Armide, une Iphigénie, une Alceste, une Hypermnestre. Il avait madame Branchu, type de ces voix de soprano, pleines et retentissantes, douces