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les soirées de l’orchestre.

sang du fils de ta mère, il est vrai. Mais l’officier commandait une ronde de nuit ; Francesco était ivre ; après avoir insulté sans raison, assailli à coups de pierres le détachement, il en était venu, dans son extravagance, à vouloir enlever leurs armes à ces soldats ; ils en firent usage, et ton frère périt. Rien n’était plus facile à prévoir, et, conviens-en, rien n’était plus juste.

Je n’en suis pas là, moi. Bien qu’on ait fait pis que de me tuer, je n’ai en rien mérité mon sort ; et c’est quand j’avais droit à des récompenses, que j’ai reçu l’outrage et l’avanie.

Tu sais avec quelle persévérance je travaille depuis longues années à accroître les forces, à multiplier les ressources de la musique. Ni le mauvais vouloir des anciens maîtres, ni les stupides railleries de leurs élèves, ni la méfiance des dilettanti qui me regardent comme un homme bizarre, plus près de la folie que du génie, ni les obstacles matériels de toute espèce qu’engendre la pauvreté, n’ont pu m’arrêter, tu le sais. Je puis le dire, puisqu’à mes yeux le mérite d’une telle conduite est parfaitement nul.

Ce jeune Montecco, nommé Roméo, dont les aventures et la mort tragique firent tant de bruit à Vérone, il y a quelques années, n’était certainement pas le maître de résister au charme qui l’entraînait sur les pas de la belle Giulietta, fille de son mortel ennemi. La passion était plus forte que les insultes des valets Capuletti, plus forte que le fer et le poison dont il était sans cesse menacé ; Giulietta l’aimait, et pour une heure passée auprès d’elle, il eût mille fois bravé la mort. Eh bien ! ma Giulietta à moi, c’est la musique, et, par le ciel ! j’en suis aimé.

Il y a deux ans, je formai le plan d’un ouvrage de théâtre sans pareil jusqu’à ce jour, où le chant, accompagné de divers instruments, devait remplacer le langage parlé, et faire naître, de son union avec le drame, des impressions telles que la plus haute poésie n’en produisit jamais. Par malheur, ce projet était fort dispendieux ; un souverain ou un juif pouvait seul entreprendre de le réaliser.

Tous nos princes d’Italie ont entendu parler du mauvais