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première soirée.

effet de la prétendue tragédie en musique exécutée à Rome à la fin du siècle dernier ; le peu de succès de l’Orfeo d’Angelo Politiano, autre essai du même genre, ne leur est pas inconnu, et rien n’eût été plus inutile que de réclamer leur appui pour une entreprise où de vieux maîtres avaient échoué si complétement. On m’eût de nouveau taxé d’orgueil et de folie.

Pour les juifs, je n’y pensai pas un instant ; tout ce que je pouvais raisonnablement espérer d’eux, c’était, au simple énoncé de ma proposition, d’être éconduit sans injures, et sans huées de la valetaille ; encore n’en connaissais-je pas un assez intelligent, pour qu’il ne fût permis de compter avec quelque certitude sur une telle générosité. J’y renonçai donc, non sans chagrin, tu peux m’en croire ; et ce fut le cœur serré que je repris le cours des travaux obscurs qui me font vivre, mais qui ne s’accomplissent qu’aux dépens de ceux dont la gloire et la fortune seraient peut-être le prix.

Une autre idée nouvelle, bientôt après, vint me troubler encore. Ne ris pas de mes découvertes, Cellini, et garde-toi surtout de comparer mon art naissant à ton art depuis longtemps formé. Tu sais assez de musique pour me comprendre. De bonne foi, crois-tu que nos traînants madrigaux à quatre parties soient le dernier degré de perfection où la composition et l’exécution puissent atteindre ? Le bon sens n’indique-t-il pas que, sous le rapport de l’expression, comme sous celui de la forme musicale, ces œuvres tant vantées ne sont qu’enfantillages et niaiseries.

Les paroles expriment l’amour, la colère, la jalousie, la vaillance ; et le chant, toujours le même, ressemble à la triste psalmodie des moines mendiants. Est-ce là tout ce que peuvent faire la mélodie, l’harmonie, le rhythme ? N’y a-t-il pas de ces diverses parties de l’art mille applications qui nous sont inconnues ? Un examen attentif de ce qui est ne fait-il pas pressentir avec certitude ce qui sera et ce qui devrait être ? Et les instruments, en a-t-on tiré parti ? Qu’est-ce que notre misérable accompagnement qui n’ose quitter la voix et la suit continuellement à l’unisson ou à l’octave ? La musique instru-