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les soirées de l’orchestre.

mentale, prise individuellement, existe-t-elle ? Et dans la manière d’employer la vocale, que de préjugés, que de routine ! Pourquoi toujours chanter à quatre parties, lors même qu’il s’agit d’un personnage qui se plaint de son isolement ?

Est-il possible de rien entendre de plus déraisonnable que ces canzonnette introduites depuis peu dans les tragédies, où un acteur, qui parle en son nom et paraît seul en scène, n’en est pas moins accompagné par trois autres voix placées dans la coulisse, d’où elles suivent son chant tant bien que mal ?

Sois-en sûr, Benvenuto, ce que nos maîtres, enivrés de leurs œuvres, appellent aujourd’hui le comble de l’art, est aussi loin de ce qu’on nommera musique dans deux ou trois siècles, que les petits monstres bipèdes, pétris avec de la boue par les enfants, sont loin de ton sublime Persée ou du Moïse de Buonarotti.

Il y a donc d’innombrables modifications à apporter dans un art aussi peu avancé… des progrès immenses lui restent donc à faire. Et pourquoi ne contribuerais-je pas à donner l’impulsion qui les amènera ?…

Mais, sans te dire en quoi consiste ma dernière invention, qu’il te suffise de savoir qu’elle était de nature à pouvoir être mise en lumière à l’aide des moyens ordinaires et sans avoir recours au patronage des riches ni des grands. C’était du temps seulement qu’il me fallait ; et l’œuvre, une fois terminée, l’occasion de la produire au grand jour eût été facile à trouver, pendant les fêtes qui allaient attirer à Florence l’élite des seigneurs et des amis des arts de toutes les nations.

Or, voilà le sujet de l’âcre et noire colère qui me ronge le cœur :

Un matin que je travaillais à cette composition singulière dont le succès m’eût rendu célèbre dans toute l’Europe, monseigneur Galeazzo, l’homme de confiance du grand-duc, qui, l’an passé, avait fort goûté ma scène d’Ugolino, vient me trouver et me dit : « Alfonso, ton jour est venu. Il ne s’agit plus de madrigaux, de cantates, ni de chansonnettes. Écoute-moi ; les fêtes du mariage seront splendides, on n’épargne rien pour leur donner un éclat digne des deux familles illustres