Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/224

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êtes un autre ! — Écoutez celui-ci, messieurs ! (On chante l’O salutaris d’un grand maître.) Admirez comment nous est offert ici un exemple de style bête ! L’auteur fait prononcer les mots Da robur, fer auxilium, sur une phrase énergique, symbole de la force (robur). Sur cent compositeurs, qui ont traité ce sujet depuis Gossec, il n’y en a pas deux peut-être qui aient évité le contre-sens dont ce vieux maître a donné le classique modèle. — Comment cela ? dit Bacon. — L’O salutaris est une prière, n’est-ce pas ? Le chrétien y demande à Dieu la force, il implore son secours ; mais s’il les demande, c’est qu’il ne les a pas apparemment et qu’il en sent le besoin. C’est donc un être faible qui prie, et sa voix, en prononçant le Da robur, doit être aussi humble que possible, au lieu d’éclater en accents qui tiennent plus de la menace que de la supplication.

On appelle ces choses-là des chefs-d’œuvres du genre religieux ! ! !…

Chefs-d’œuvre de bêtise. Cauchemars !

Et ceux qui les admirent… archicauchemars ! !

Les compositions écrites avec des tendances expressives sur les textes sacrés surabondent en niaiseries pareilles.

Ces niaiseries sans doute ont servi de prétexte à la formation d’une secte de la plus singulière espèce, qui, dans ses conventicules aujourd’hui, maintient une plaisante question à l’ordre du jour. Ce schisme innocent, dans le but, dit-il, de faire de la vraie musique catholique, tend, dans le service religieux, à supprimer la musique tout à fait. Ces anabaptistes de l’art ne voulaient pas de violons dans les églises, parce que les violons rappellent la musique théâtrale (comme si les basses, les altos, tous les instruments et les voix n’étaient pas dans le même cas), les nouvelles orgues ont ensuite, à leur sens, été pourvues de jeux trop variés, trop expressifs. Puis on en est venu à trouver damnable la mélodie, le rhythme, et même la tonalité moderne. Les modérés admettent encore Palestrina ; mais les fervents, les Balfour de Burley de ces nouveaux puritains, ne veulent que le plain-chant tout brut.

L’un d’eux, le Mac-Briar de la secte, va même bien plus