Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/223

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

cauchemar a fini de parler, il est vrai, mais quel est ce bruit ? quels sont ces applaudissements ? à qui s’adressent-ils ? ces marques de satisfaction sont celles du public ; elles s’adressent au cauchemar en personne, qui se rengorge, et fait le gros dos, et roucoule, et salue modestement. Mon Dieu oui ! le public a trouvé le monstre aimable et agréable, et il remercie le monstre du plaisir qu’il lui a fait.

C’est alors qu’on enrage, et qu’on voudrait être aux antipodes parmi les sauvages, au milieu d’une peuplade de singes de Bornéo, voire même parmi les féroces chercheurs d’or de la Californie ! C’est alors qu’on voit le néant de la gloire, le ridicule du succès qu’obtiennent les chefs-d’œuvre auprès de ces juges capables d’applaudir ainsi les cauchemars… Et l’on trouve fort judicieux cet orateur antique, se tournant inquiet vers son ami après un de ses discours bien accueilli de la multitude, et disant : « Le peuple m’applaudit, aurais-je dit quelque sottise ? » Avec les compositions-cauchemars, qui pour la plupart sont écrites dans un style qu’il faut bien appeler par son nom, le style bête, nous avons les hommes-cauchemars.

Le cauchemar-orateur, qui vous arrête au coin des rues, ou vous met au carcan devant la cheminée d’un salon pour vous saturer de ses doctrines ; celui qui prouve à tout venant la supériorité de la musique des Orientaux sur la nôtre ; le vieux théoricien, qui trouve partout des fautes d’harmonie ; le découvreur d’anciens manuscrits, devant lesquels il tombe en extase ; le défenseur des règles de la fugue ; l’adorateur exclusif du style lié, du style plan, du style mort, l’ennemi de l’expression et de la vie ; l’admirateur de l’orgue, de la messe du pape Marcel, de la messe de l’Homme armé, des chansons de gestes. Tous ces gens-là sont les plus grands cauchemars qui se puissent nommer. Et les mères de famille qui vous présentent leurs enfants-prodiges, et les compositeurs qui veulent bon gré mal gré vous faire lire leurs partitions ; et tous les bourgeois qui parlent musique ; et tous les ennuyeux, sans oublier les innocents curieux. Et voilà comment, cher Winter, monsieur a le droit de te dire : Vous en