Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/241

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Kava, danser la pyrrhique et séduire la reine Pomaré. Au lieu de ces innocentes distractions trans-océaniques, sous le plus beau ciel du monde, il faut que nous nous donnions la peine de raconter comment on s’y est pris l’autre jour à Paris pour nous faire passer laborieusement cinq mortelles heures dans un théâtre enfumé ! » Car ce n’est pas tout d’entendre un opéra en trois actes, d’assister même à sa dernière répétition ; de dîner à moitié le soir de sa première représentation pour ne pas perdre une seule note de l’ouverture ; de se faire dire des choses désagréables par M. son portier pour s’être attardé au théâtre jusqu’à une heure du matin, alors qu’on rappelait tous les acteurs, que le dernier bouquet tombait aux pieds de la prima donna. Ce n’est pas tout de passer au retour une partie de la nuit à se remémorer les divers incidents de la pièce, la forme des morceaux de musique, les noms des personnages ; d’y rêver si l’on s’endort, d’y penser encore quand on se réveille. Hélas ! non, ce n’est pas tout : il faut de plus, pour nous autres critiques, raconter d’une façon à peu près intelligible ce que souvent nous n’avons pas compris ; faire un récit amusant de ce qui nous a tant ennuyés ; dire le pourquoi et le comment, le trop et le pas assez, le fort et le faible, le mou et le dur d’une œuvre croquée au vol, et qui n’a pas posé tranquillement pour ses peintres pendant le temps nécessaire à l’action d’un daguerréotype bien conformé. Pour moi, je l’avoue, j’aimerais presque autant écrire l’opéra entier que d’en raconter un seul acte. Car l’auteur, quel que soit son chagrin d’être obligé de faire des chapelets de cavatines, et de se rappeler si souvent qu’une fois attelé à une partition d’opéra parisien, il ne doit pas s’amuser à enfiler des perles, l’auteur, au moins, travaille un peu quand il veut.

Le narrateur, au contraire, condamné à la critique, à temps, narre précisément quand il ne voudrait pas narrer. Il a passé une nuit pénible ; il se lève sans pouvoir découvrir de quelle humeur il est ; il se dit en outre : « En ce moment, Halévy, Scribe et Saint-Georges dorment du sommeil réparateur et profond des femmes en couches ; et me voilà