avec leur enfant sur les bras, obligé de cajoler sa nourrice pour qu’elle lui donne le sein, de le laver, de le bichonner, de dire à tout le monde comme il est joli, comme il ressemble à ses pères ; de tirer son horoscope et de lui prédire une longue vie. »
Je voudrais bien savoir ce que vous feriez, mon cher Corsino, si, à ces tourments de la critique théâtrale, venaient se joindre encore ceux de la critique des concerts ; si vous aviez une foule de gens de talent, de virtuoses remarquables, de compositeurs admirables, à louer ! si vos amis vous venaient dire : « Voici neuf violonistes, onze pianistes, sept violoncellistes, vingt chanteurs, une symphonie, deux symphonies, un mystère, une messe, dont vous n’avez encore rien dit ; parlez-en donc enfin. Allons ! de l’ardeur ! de l’enthousiasme ! que tout le monde soit content ! et surtout variez vos expressions ! Ne dites pas deux fois de suite : Sublime ! inimitable ! merveilleux ! incomparable ! Louez, mais louez délicatement ; n’allez pas lancer la louange avec une truelle. Donnez à entendre à tous que tous sont des dieux, mais pas davantage, et surtout ne le dites pas d’une façon trop crue. Cela pourrait blesser leur modestie ; on ne gratte pas des hommes avec une étrille. Vous avez affaire à des gens de cœur qui vous sauront un gré infini des vérités que vous voudrez bien leur dire. Les auteurs, les artistes, ne ressemblent plus à l’archevêque de Grenade. Quelle que soit la dose d’amour-propre qu’on leur suppose, pas un ne serait capable de dire aujourd’hui comme le patron de Gil Blas à son critique trop franc : « Allez trouver mon trésorier, qu’il vous compte cinq cents ducats, etc. » La plupart de nos illustres se borneraient à répéter le mot d’un académicien de l’empire, mot dont on ne saurait assez souvent faire admirer la modestie et la profondeur. Ou avait offert un banquet à cet immortel. Au dessert, un jeune enthousiaste dit à son voisin de droite : « Allons, portons un toast à M. D. J. qui a surpassé Voltaire ! — Ah ! fi donc, répondit l’autre, c’est exagéré ! bornons-nous à la vérité et disons : A M. D. J. qui à égalé Voltaire ! » M. D. J. avait entendu la proposition, et saisissant vivement, à ces