Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/316

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tous les sens, au milieu de cet orageux conflit de mille douleurs !… Il le faut cependant. O mon ami, le culte de l’art n’est un bonheur que pour les âmes sereines ; je le sens bien à l’indifférence et au dégoût que j’éprouve à l’égard des choses mêmes qui, pour moi, furent en d’autres temps des objets d’un si haut intérêt. N’importe ! continuons ma tâche.

Sachant la mission dont je suis chargé et mes fonctions à Euphonia, les membres de l’Académie sicilienne m’ont écrit ce matin pour me demander des renseignements sur l’organisation de notre ville musicale ; ils ont beaucoup entendu parler d’elle, mais aucun d’eux cependant, malgré l’excessive facilité des voyages, n’a encore eu la curiosité de la visiter. Envoie-moi donc, par le prochain courrier, un exemplaire de notre charte, avec une description succincte de la cité conservatrice du grand art que nous adorons. J’irai lire l’une et l’autre à la docte assemblée ; je veux me donner le plaisir de voir de près l’étonnement de ces braves académiciens qui sont si loin de savoir ce qu’est la musique.

Je ne t’ai rien dit des concerts ni des festivals en Italie, par la raison que ces solennités y sont tout à fait inusitées ; elles n’exciteraient parmi les populations aucune sympathie, et leur exécution, en tout cas, ne pourrait différer beaucoup de celle que j’ai observée dans les théâtres. Quant à la musique religieuse, il n’y en a pas davantage, en égard aux idées que nous avons et que nous réalisons si grandement sur l’application de toutes les ressources de l’art au service divin. Les derniers papes ayant prohibé dans les églises toute autre musique que celle des anciens maîtres de la chapelle Sixtine, tels que Palestrina et Allegri, ont, par cette grave décision, fait disparaître à tout jamais le scandale dont se plaignaient si amèrement, il y a quelques siècles, les écrivains dont l’opinion nous paraît avoir eu de la valeur. On ne joue plus, il est vrai, des concertos de violon pendant la messe, on n’y entend plus des cavatines chantées en voix de fausset par un homme entier, l’organiste n’exécute plus des fugues grotesques ni des ouvertures d’opéras bouffons ; mais il n’en faut pas moins regretter que cette expulsion, trop bien motivée, de tant de