Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/349

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nos Rondes du Sabbat, nos Chansons de brigands, nos Galops infernaux, nos Abracadabra de toutes sortes, à côté de cet hymne immense chanté à la fois par des millions de voix, à la douleur, à la rage et à la destruction !… Qu’est-ce que nos orchestres en comparaison de ces bandes formidables animées par la foudre, qui exécutent l’ouragan, et que dirige l’infatigable maître de chapelle dont l’archet est une faux et qu’on nomme la Mort ?…

»Que sont aussi les choses et les hommes que ces bouleversements mettent quelquefois tout à coup en évidence ?..... Quelles voix se font entendre au milieu de tant de sinistres rumeurs ? Le rossignol effarouché, rentré dans son buisson, ferme l’œil aux éclairs et ne répond au tonnerre que par le silence. Nous tous qui ne sommes pas des rossignols, nous en faisons autant : le pinson se tapit au creux de son chêne, l’alouette dans son sillon, le coq rentre au poulailler, le pigeon au colombier, le moineau dans sa grange. La pintade et le paon perchés sur leur fumier, l’orfraie, le hibou sur leur ruine, le freux et le corbeau perdus dans la brume, unissent seuls leurs voix discordantes et saluent la tempête.

»Non, les difficultés sont grandes, les obstacles nombreux, le labeur est âpre et lent pour notre art aujourd’hui. Et pourtant j’espère encore, je crois que, par notre constance, notre courage et notre dignité, l’art peut être sauvé. Unissons-nous donc ; soyons patients, énergiques et fiers ! Prouvons aux peuples distraits par tant d’intérêts graves, que si nous sommes les derniers nés de la civilisation, si nous avons eu un instant sa tendresse la plus vive, nous en étions dignes. Ils comprendront peut-être alors combien elle souffrirait si nous périssions.

»Je bois aux artistes que rien ne saurait avilir ni décourager ! aux artistes véritables, aux vaillants, aux forts ! » — Applaudissements. (Bacon bas à Kleiner) : « Il ne parle guère, notre chef, mais quand il prend la parole, il sait s’en servir ! — Oui, dit Kleiner le jeune, mais tout ceci est bien sérieux. (Se levant) : Je bois, moi, à notre camarade Schmidt