Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/355

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dépassé les bornes posées par le bon sens et le goût, on se dit : « Allons jusque-là, en attendant que nous puissions aller au delà. Ne cherchons ni l’originalité, ni le naturel, ni la vraisemblance, ni l’élégance, ni la beauté ; ne nous inquiétons ni des vulgarités, ni des platitudes, ni des barbarismes, ni des pléonasmes, si les uns et les autres sont plus promptement écrits que les choses douées des qualités contraires. Le public ne nous saurait aucun gré de notre susceptibilité. Gagnons du temps ; car le temps c’est de l’argent, et l’argent c’est tout. » — Et c’est ainsi que, dans des œuvres que certes ne sont pas sans mérite sous d’autres rapports, les rieurs peuvent relever des fautes incroyables qui n’eussent pas coûté, pour les corriger, vingt minutes d’attention à leur auteur. Mais vingt minutes, cela vaut sans doute 20 francs, et pour 20 francs on se résigne volontiers à laisser chanter dans le septuor du combat au troisième acte des Huguenots : « Quoi qu’il arrive ou qu’il advienne. » Mot célèbre, non unique, qui m’a fait perdre dernièrement une gageure assez importante. Quelqu’un m’assurant qu’il ne se trouvait point dans l’ouvrage que je viens de citer et qu’on n’oserait chanter à l’Opéra une naïveté aussi remarquable, je soutins le contraire ; un pari s’ensuivit ; on vérifia le fait, et je perdis. On chante : « Quoi qu’il advienne ou qu’il arrive. »

(Éclat de rire des convives. Bacon seul, étonné, demande ce qu’il y a de risible dans ce mot. On a déjà prévenu le lecteur qu’il ne descendait point du Bacon qui inventa la poudre. Je reprends :) « Ces habitudes des théâtres étendent leur influence au dehors sur les artistes même dont les tendances sont les plus élevées, les convictions les plus sincères. Ainsi, nous en voyons qui, pour attirer les applaudissements, non pas seulement sur eux, mais sur les choses qu’ils admirent, commettent de véritables lâchetés. Croiriez-vous que, pendant un grand nombre d’années, dans les concerts du Conservatoire à Paris, l’usage a été d’enchaîner l’ouverture de Coriolan de Beethoven, au chœur final du Christ au mont des Oliviers ? Et cela pourquoi ? parce que l’ouverture finissant smorzando par un pizzicato, on craignait pour elle l’affront du silence