Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/356

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du parterre, et qu’on comptait sur l’éclat de la péroraison du chœur pour faire applaudir Beethoven. O misère ! ô respect des claqueurs !..... Et quand bien même le parterre n’eût pas applaudi cette héroïque inspiration ! était-ce une raison pour détruire l’impression profonde qu’elle venait incontestablement de produire, pour faire un si choquant pot-pourri, un anachronisme aussi bouffon, pour accoler Coriolan au Christ, et mêler les rumeurs du Forum romain au chœur des anges sur la montagne de Sion ?… Remarquez en outre qu’on se trompait en ces misérables calculs. J’ai entendu l’ouverture de Coriolan, exécutée ailleurs, bravement toute seule ; et vingt fois plus applaudie que ne le fut jamais le chœur du Christ qu’on lui donnait jadis pour parachute au Conservatoire. Ces exemples, messieurs, et beaucoup d’autres que je m’abstiens de citer, m’amènent à une conclusion sévère mais que je crois juste.

« Le théâtre aujourd’hui est à la musique… Sicut amori lupanar. »

— « Qu’est-ce que c’est ? » disent Bacon et quelques autres, Corsino traduit le second terme de ma comparaison que je n’ai pas osé dire en français. Aussitôt éclate une trombe d’applaudissements, de cris, d’interjections, de : « C’est vrai ! c’est vrai ! » les verres violemment frappés sur la table volent en éclats. C’est un fracas à ne pas s’entendre.

— De là, messieurs, la chaude affection que nous devons toujours montrer pour les compositions de théâtre où la musique est respectée, où la passion est noblement exprimée, où brillent le bon sens, le naturel, la vérité simple, la grandeur sans enflure, la force sans brutalité. Ce sont des filles honnêtes qui ont résisté à la contagion de l’exemple. Une œuvre de bon goût, vraiment musicale et dictée par le cœur, en notre temps d’exagérations, de vociférations, de dislocations, de machinisme et de mannequinisme ! mais il faut l’adorer, jeter un voile sur ses défauts, et la placer sur un piédestal si élevé, que les éclaboussures qui jaillissent autour d’elle ne puissent l’atteindre !

Vous êtes les Caton de la cause vaincue, nous dira-t-on ;