Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/375

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excellentes que le style de l’œuvre est plus neuf. On dit souvent : « Le public n’aperçoit pas les incorrections légères, les nuances omises ou exagérées, les erreurs de mouvement, les défauts d’ensemble, de justesse, d’expression ou de chaleur. » C’est vrai, il n’est point choqué par ces imperfections, mais alors il demeure froid, il n’est pas ému, et l’idée du compositeur si délicate, ou gracieuse, ou grande et belle qu’on la suppose, ainsi voilée, passe devant lui sans qu’il en aperçoive les formes, parce que le public ne devine rien.

Il faut donc, je le répète, aux œuvres de Beethoven des exécutions fréquentes, et d’une puissance et d’une beauté irrésistibles. Or il n’y a pas, je le crois fermement, six endroits dans le monde où l’on puisse entendre seulement six fois par an ses symphonies dignement exécutées. Ici l’orchestre est mal composé, là il est trop peu nombreux, ailleurs il est mal dirigé, puis les salles de concerts ne valent rien, ou les artistes n’ont pas le temps de répéter ; enfin presque partout on rencontre des obstacles qui amènent, en dernière analyse, pour ces chefs-d’œuvre, les plus désastreux résultats.

Quant à ses sonates, malgré le nombre incalculable de gens à qui l’on donne le nom de pianistes, je dois convenir encore que je ne connais pas six virtuoses capables de les exécuter fidèlement, correctement, puissamment, poétiquement, de ne pas paralyser la verve, de ne pas éteindre l’ardeur, la flamme, la vie, qui bouillonnent dans ces compositions extraordinaires, de suivre le vol capricieux de la pensée de l’auteur, de rêver, de méditer, ou de se passionner avec lui, de s’identifier enfin avec son inspiration et de la reproduire intacte.

Non, il n’y a pas six pianistes pour les sonates de piano de Beethoven. Ses trios sont plus accessibles. Mais ses quatuors ! combien y a-t-il en Europe de ces quadruples virtuoses, de ces dieux en quatre personnes, capables d’en dévoiler le mystère ? Je n’ose le dire. Il y avait donc de nombreux motifs pour que M. de Lenz ne se donnât pas la peine de répondre aux divagations auxquelles les œuvres de Beethoven ont donné lieu. L’espèce d’impopularité de ces merveilleuses