Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/59

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facile dans les villes du second ordre surtout. Mais cette large part faite à la critique du sens musical du gros public, je dois maintenant vous faire connaître combien il y a de malotrus qui l’importunent, ce pauvre public, qui le harcèlent, qui l’obsèdent sans vergogne, depuis le soprano jusqu’à la basse profonde, depuis le flageolet jusqu’au bombardon. Il n’est si mince râcleur de guitare, si lourd marteleur d’ivoire, si grotesque roucouleur de fadeurs qui ne prétende arriver à l’aisance et à la renommée en donnant concert sur la guimbarde… De là des tourments vraiment dignes de pitié pour les maîtres et les maîtresses de maison. Les patrons de ces virtuoses, les placeurs de billets, sont des frelons dont la piqûre est cuisante et dont on ne sait comment se garantir. Il n’y a pas de subterfuges, pas de roueries diplomatiques qu’ils n’emploient pour glisser aux pauvres gens riches quelque douzaine de ces affreux carrés de papier nommés billets de concert. Et quand une jolie femme surtout a été affligée de la cruelle tâche d’un placement de seconde main, il faut voir avec quel despotisme barbare elle frappe de son impôt les hommes jeunes ou vieux qui ont le bonheur de la rencontrer. « Monsieur A***, voici trois billets que madame*** m’a chargée de vous faire accepter ; donnez-moi 30 fr. Monsieur B***, vous êtes un grand musicien, on le sait ; vous avez connu le précepteur du neveu de Grétry, vous avez habité un mois à Montmorency une maison voisine de celle de ce grand homme ; voici deux billets pour un concert charmant auquel vous ne pouvez vous dispenser d’assister : donnez-moi 20 fr. Ma chère amie, j’ai pris, l’hiver dernier, pour plus de 1,000 francs de billets des protégés de ton mari, il ne te refusera pas, si tu les lui présentes, le prix de ces cinq stalles : donne-moi 50 fr. Allons, monsieur C***, vous qui êtes si véritablement artiste, il faut encourager le talent ; je suis sûre que vous vous empresserez de venir entendre ce délicieux enfant (ou cette intéressante jeune personne, ou cette bonne mère de famille, ou ce pauvre garçon qu’il faut arracher à la conscription, etc.) ; voilà deux places, c’est