Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/33

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de la Bastille, a lui-même le corps traversé d’une balle. Les arbres abattus, mutilés, les maisons prêtes à crouler, les places, les rues, les quais semblent encore vibrants du fracas homicide !... Pensons donc à l’art par ce temps de folies furieuses et de sanglantes orgies !... Tous nos théâtres sont fermés, tous les artistes ruinés, tous les professeurs oisifs, tous les élèves en fuite ; de pauvres pianistes jouent des sonates sur les places publiques, des peintres d’histoire balayent les rues, des architectes gâchent du mortier dans les ateliers nationaux... L’Assemblée vient de voter d’assez fortes sommes pour rendre possible la réouverture des théâtres et accorder en outre de légers secours aux artistes les plus malheureux. Secours insuffisants pour les musiciens surtout ! Il y a des premiers violons à l’Opéra dont les appointements n’allaient pas à neuf cents francs par an. Ils avaient vécu à grand’peine jusqu’à ce jour, en donnant des leçons. On ne doit pas supposer qu’ils aient pu faire de brillantes économies. Leurs élèves partis, que vont-ils devenir, ces malheureux ? On ne les déportera pas, quoique beaucoup d’entre eux n’aient plus de chances de gagner leur vie qu’en Amérique, aux Indes ou à Sydney ; la déportation coûte trop cher au gouvernement : pour l’obtenir, il faut l’avoir méritée, et tous nos artistes ont combattu les insurgés et sont montés à l’assaut des barricades...

Au milieu de cette effroyable confusion du juste et de l’injuste, du bien et du mal, du vrai et du faux, en entendant parler cette langue dont la plupart des mots sont détournés de leur acception, n’y a-t-il pas de quoi devenir complètement fou ! ! !

Continuons mon auto biographie. Je n’ai rien de mieux à faire. L’examen du passé servira, d’ailleurs, à détourner mon attention du présent.


V


Une année d’études médicales. — Le professeur Amussat. — Une représentation à l’Opéra. — La bibliothèque du Conservatoire. — Entraînement irrésistible vers la musique. — Mon père se refuse à me laisser suivre cette carrière. — Discussions de famille.


En arrivant à Paris, en 1822, avec mon condisciple A. Robert, je me livrai tout entier aux études relatives à la carrière qui m’était imposée ; je tins loyalement