Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/379

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Le cocher, marchant à l’aventure, nous avait amenés dans le lit du fleuve, et n’osait plus faire un mouvement.

L’eau montait cependant. Un officier hongrois placé dans le coupé m’avait deux ou trois fois adressé la parole par une petite fenêtre pratiquée dans la cloison intermédiaire de la malheureuse voiture.

« — Capitaine, lui dis-je alors à mon tour.

— Monsieur !

— Ne pensez-vous pas que nous allons nous noyer ?

— Oui, monsieur je le pense ! Vous offrirai-je un cigare ?»

Son insolent sang-froid me donnait envie de lui asséner un coup de poing, et de fureur je me mis à accepter son cigare et à le fumer précipitamment.

L’eau montait toujours.

Alors le cocher, faisant un effort désespéré, tourne court au risque de nous verser dans le courant, parvient à gravir la rive droite, dont nous étions encore heureusement assez rapprochés, se dirige à travers champs, et nous conduit... droit dans un lac. Cette fois, je crus bien que c’était fini, et, appelant de nouveau le militaire :

« — Capitaine, avez-vous encore un cigare ?

— Oui, monsieur !

— Eh bien, donnez-le moi vite, car, pour le coup, nous allons nous noyer tout à fait !»

Heureusement un brave paysan vint à passer par là (où diable allait-il à une pareille heure et par de pareils chemins ?) nous aida à sortir du lac et donna à notre malencontreux phaéton des indications, grâce auxquelles il parvint à retrouver sa route. Enfin, le lendemain, de cahots en soubresauts, de fossés en fondrières, passant alternativement de l’eau dans la boue et de la boue dans l’eau, nous parvînmes à Pesth ; c’est-à-dire en face de Pesth, sur la rive droite du Danube, qui eut la bonté de nous permettre de le traverser en barque, faute d’un pont. Sur cette rive droite se trouve une assez grande ville ; je demandai son nom à mon capitaine.

« — C’est Buda, me dit-il...

— Comment ! Buda ? sur ma carte d’Allemagne, la ville placée en face de Pesth porte une tout autre désignation. Tenez, voyez, elle s’appelle Ofen.

— Justement, c’est Buda ; Ofen est une traduction allemande très-libre du mot hongrois.

— J’y suis ; les cartes allemandes, à ce qu’il paraît sont aussi ingénieusement rédigées que les cartes françaises. Seulement on devrait mettre sur les unes : Ratisbonne, prononcez Regensburg, et sur les autres : Ofen, prononcez Buda.»

En arrivant je me donnai une partie de plaisir que je m’étais promise la