Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/475

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un de ses voisins, lui répète ma réponse du matin à propos d’un opéra de Roméo et Juliette. Le voisin garde un instant le silence, puis frappant violemment le rebord de sa loge, s’écrie : «Eh bien, qu’il meure ! mais qu’il le fasse !»

Recevez, monsieur, l’assurance de ma vive gratitude pour la bienveillance que vous me témoignez et pour votre désir de me venger (selon votre expression) de tant de gens et de tant de choses injustes. Je crois qu’en fait de vengeance, il faut laisser faire le temps. C’est le grand vengeur ; les gens et les choses dont j’eus et j’ai encore à me plaindre, ne sont pas d’ailleurs dignes de votre colère.

Je m’aperçois que je n’ai rien dit de technique sur ma manière d’écrire, et peut-être désirez-vous quelques détails à ce sujet.

En général mon style est très-hardi, mais il n’a pas la moindre tendance à détruire quoi que ce soit des éléments constitutifs de l’art. Au contraire, je cherche à accroître le nombre de ces éléments. Je n’ai jamais songé, ainsi qu’on l’a si follement prétendu en France, à faire de la musique sans mélodie. Cette école existe maintenant en Allemagne et je l’ai en horreur. Il est aisé de se convaincre que, sans même me borner à prendre une mélodie très-courte pour thème d’un morceau, comme l’ont fait souvent les plus grands maîtres, j’ai toujours soin de mettre un vrai luxe mélodique dans mes compositions. On peut parfaitement contester la valeur de ces mélodies, leur distinction, leur nouveauté, leur charme, ce n’est pas à moi qu’il appartient de les apprécier ; mais nier leur existence, c’est, je le soutiens, mauvaise foi ou ineptie. Seulement ces mélodies étant souvent de très-grande dimension, les esprits enfantins, à courte vue, n’en distinguent pas la forme clairement ; ou mariées à d’autres mélodies secondaires qui, pour ces mêmes esprits enfantins, en voilent les contours ; ou enfin ces mélodies sont si dissemblables des petites drôleries appelées mélodies par le bas peuple musical, qu’il ne peut se résoudre à donner le même nom aux unes et aux autres.

Les qualités dominantes de ma musique sont l’expression passionnée, l’ardeur intérieure, l’entraînement rhythmique et l’imprévu. Quand je dis expression passionnée, cela signifie expression acharnée à reproduire le sens intime de son sujet, alors même que le sujet est le contraire de sa passion et qu’il s’agit d’exprimer des sentiments doux, tendres, ou le calme le plus profond. C’est ce genre d’expression qu’on a cru trouver dans l’Enfance du Christ, et surtout dans la scène du Ciel de la Damnation de Faust et dans le Sanctus du Requiem.

À propos de ce dernier ouvrage, il est bon de vous signaler un ordre d’idées dans lequel je suis à peu près le seul des compositeurs modernes qui soit entré, et dont les anciens n’ont pas même entrevu la portée. Je veux parler de ces compositions énormes désignées par certains critiques sous le nom de musique