Page:Berlioz - Traité d’instrumentation et d’orchestration.djvu/213

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Le Trombone est, à mon sens, le véritable chef de cette race d’instruments à vent que j’ai qualifiés d’Épiques. Il possède en effet au suprême degré la noblesse et la grandeur ; il a tous les accents graves ou forts de la haute poésie musicale, depuis l’accent religieux, imposant et calme, jusqu’aux clameurs forcenées de l’orgie. Il dépend du compositeur de le faire tour à tour chanter comme un chœur de prêtres, menacer, gémir sourdement, murmurer un glas funèbre, entonner un hymne de gloire, éclater en horribles cris, ou sonner sa redoutable fanfare pour le réveil des morts ou la mort des vivants.

On a pourtant trouvé moyen de l’avilir, il y a quelque trente années, en le réduisant au redoublement servile, inutile et grotesque de la partie de contre-Basse. Ce système est aujourd’hui à peu près abandonné, fort heureusement. Mais on peut voir dans une foule de partitions, fort belles d’ailleurs, les Basses doublées presque constamment à l’unisson par un seul Trombone. Je ne connais rien de moins harmonieux et de plus vulgaire que ce mode d’instrumentation. Le son du Trombone est tellement caractérisé, qu’il ne doit jamais être entendu que pour produire un effet spécial ; sa tâche n’est donc pas de renforcer les contre-Basses, avec le son desquelles, d’ailleurs, son timbre ne sympathise en aucune façon. De plus il fuit reconnaître qu’un seul Trombone dans un orchestre semble toujours plus ou moins déplacé. Cet instrument a besoin de l’harmonie, ou, tout au moins, de l’unisson des autres membres de sa famille, pour que ses aptitudes diverses puissent se manifester complètement. Beethoven l’a employé quelquefois par paires, comme les Trompettes ; mais l’usage consacré de les écrire à trois parties me parait préférable.

Il est difficile de déterminer avec précision le degré de rapidité auquel les Trombones peuvent atteindre dans les traits ; cependant voilà, je crois, ce qu’on peut dire : dans la mesure à quatre temps et dans le mouvement Allegro moderato par exemple, un trait en croches simples (huit notes par mesures) est faisable sur le Trombone-Basse.


\language "italiano"
\score {
  \new Staff \with {
    instrumentName = \markup { \fontsize #-2 "EXEMPLE.  " }
  }
\relative do {
\key do \major
\clef bass 
\time 4/4
sib4 \stemDown do8 re mib fa sol la] | sib2 r2 \bar "||"
}
\layout{
  indent = 10\mm
  \set fontSize = #0
} %layout
} %score
\header { tagline = ##f}

Les autres Trombones Ténor et Alto, étant un peu plus agiles, exécuteront sans trop de peine des traits en triolets de croches (12 notes par mesures.)


\language "italiano"
\score {
  \new Staff \with {
    instrumentName = \markup { \fontsize #-2 "EXEMPLE.  " }
  }
\relative do' {
\key do \major
\clef tenor 
\override Staff.TimeSignature #'stencil = ##f
\time 4/4
\tupletUp
\tuplet 3/2 {fa4 fa,8} \tuplet 3/2 {sol8[ la sib]} \tuplet 3/2 {do[ re mib]} \tuplet 3/2 {fa[ sol la]} | sib2 r2 \bar "||"
}
\layout{
  indent = 12\mm
  \set fontSize = #0
} %layout
} %score
\header { tagline = ##f}
mais ce sont


les termes naturels de leur agilité ; les dépasser c’est tomber dans le gâchis, la confusion, sinon tenter l’impossible.

Le caractère du timbre des Trombones varie en raison du degré de force avec lequel le son est émis. Dans le fortissimo, il est menaçant, formidable ; surtout si les trois Trombones sont à l’unisson, ou tout au moins si deux sont à l’unisson, le troisième étant à l’octave des deux autres. Telle est la foudroyante gamme en mineur sur laquelle Gluck a dessiné le chœur des furies au second acte d’Iphigénie en Tauride. Tel est, et plus sublime encore, le cri immense des trois Trombones unis, répondant comme la voix courroucée des dieux infernaux, à l’interpellation d’Alceste « Ombre ! larve ! compagne di morte ! » dans cet air prodigieux dont Gluck a laissé dénaturer l’idée principale par le traducteur Français, mais qui, tel qu’il est cependant, est demeuré dans la mémoire de tout le monde, avec son malencontreux premier vers : « Divinités du Styx ! ministres de la mort ! » Remarquons en outre que vers la fin de la première période de ce morceau, quand les Trombones divisés en trois parties répondent, en imitant le rhythme du chant, à cette phrase : « Je n’invoquerai point votre pitié cruelle ! », remarquons, dis-je, que par l’effet même de cette division, le timbre des Trombones prend à l’instant quelque chose d’ironique, de rauque, d’affreusement joyeux, fort différent de la fureur grandiose des unissons précédents.