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En égard à la construction de nos salles de spectacle et aux exigences de la représentation dramatique, cette disposition en amphithéâtre n’est pas possible pour les orchestres destinés à l’exécution des opéras. Les instrumentistes relégués au contraire, dans le point central le plus plus bas de la salle, devant la rampe et sur un plan horizontal, sont privés de la plupart des avantages résultant de la disposition que je viens d’indiquer pour l’orchestre de concert : aussi combien d’effets perdus, de nuances délicates inaperçues dans les orchestres d’opéras, malgré la plus excellente exécution. La différence est telle, que les compositeurs doivent presque forcément y avoir égard et ne pas instrumenter leurs partitions dramatiques absolument de la même manière que les symphonies, les messes ou les oratorios destinés aux salles de concerts et aux Églises.

Les orchestres d’opéras étaient toujours autrefois composés d’un nombre d’instruments à cordes proportionné à la masse des autres instruments ; il n’en est plus ainsi depuis plusieurs années. Un orchestre d’opéra-comique dans lequel ne se faisaient entendre que deux Flûtes, deux Hautbois, deux Clarinettes, deux Cors, deux Bassons, rarement deux Trompettes et presque jamais les Timbales, avaient assez alors de neuf premiers Violons, huit seconds, six Altos, sept Violoncelles et six Contre-Basses ; mais quatre Cors, trois Trombones, deux Trompettes, la grosse-Caisse et les Cymbales y figurant maintenant, sans que le nombre des instruments à cordes ait été augmenté, l’équilibre est détruit, les Violons s’entendent à peine, et il en résulte un ensemble détestable. L’orchestre de grand opéra, où l’on entend, outre, les instruments à vent déjà cités, deux Cornets à pistons et un Ophicléïde, plus, les instruments à percussion, et quelquefois six ou huit Harpes, n’a pas assez non plus de douze premiers Violons, onze seconds, huit Altos, dix Violoncelles, et huit contre-Basses ; il faudrait au moins quinze premiers Violons, quatorze seconds, dix Altos et douze Violoncelles, qu’il serait bon de ne pas employer tous dans les morceaux dont les accompagnements doivent être très doux.

Les proportions de l’orchestre d’opéra-comique suffiraient pour un orchestre de concert destiné à exécuter des symphonies de Haydn et de Mozart.

Un plus grand nombre d’instruments à cordes sérait même, en mainte occasion, trop fort pour les effets délicats que ces deux maîtres ont confiés, pour l’ordinaire, aux Flûtes, Hautbois et Bassons seulement.

Pour les symphonies de Beethoven, les ouvertures de Weber, et les compositions modernes conçues dans le style grandiose et passionné, il faut absolument au contraire la masse de Violons, d’Altos et de Basses que j’indiquais tout à l’heure pour le grand Opéra.

Mais le plus bel orchestre de concert, pour une salle à peine plus grande que celle du Conservatoire, le plus complet, le plus riche en nuances, en variétés de timbre, le plus majestueux, le plus fort, et le plus moelleux en même temps serait un orchestre ainsi composé :


21 Premiers Violons,
20 Seconds Violons,
18 Altos,
28 1er Violoncelles,
27 2d Violoncelles,
10 Contre-Basses,


4 Harpes,
2 Petites flûtes,
2 Grandes flûtes,
2 Hautbois,
1 Cor Anglais,
2 Clarinettes,


1 Cor de Basset ou
xxxune Clarinette Basse,
4 Bassons,
4 Cors à cylindres,
2 Trompettes à cylindres,
2 Cornets à Pistons,
xxx(ou à cylindres)
3 Trombones (1 Alto
xxx& 2 Ténors ou 3 Ténors
)


1 Grand Trombone Basse,
1 Ophichéïde en Si ♭
xxx(ou un bass tuba))
2 Paires de Timbales
xxxet 4 Timbaliers,
1 Grosse Caisse,
1 Paire de Cymbales,

S’il s’agissait d’exécuter une composition mêlée de chœurs, il faudrait pour un pareil orchestre :

46 Soprani
Premiers
et
Seconds
   40 Ténors
Premiers
et
Seconds
   40 Basses
Premières
et
Secondes
  

En doublant ou triplant dans les mêmes proportions et dans le même ordre cette masse d’exécutants, on obtiendrait sans doute un magnifique orchestre de Festival. Mais c’est une erreur de croire que tous les orchestres doivent être composés d’après ce système, basé sur la prédominance des instruments à cordes, on peut obtenir de très beaux résultats du système contraire. Les instruments à cordes, trop faibles pour dominer des masses de Clarinettes et d’instruments de cuivre, servent alors de lien harmonieux aux sons stridents de l’orchestre d’instruments à vent, en adoucissent l’éclat dans certain cas, et en échauffent le mouvement dans certains autres, au moyen du trémolo qui musicalise même les roulements de tambours en se confondant avec eux.

Le bon sens indique que le compositeur, à moins qu’il ne soit forcé de subir telle ou telle forme d’orchestre, doit combiner sa masse d’exécutants d’après le style, le caractère de l’œuvre qu’il traite, et d’après la nature des effets principaux que le sujet peut amener. Ainsi dans un Requiem, et pour reproduire musicalement, les grandes images de la prose des morts, j’ai employé quatre petits orchestres d’instruments de cuivre (Trompettes, Trombones, Cornets et Ophicléïides) placés à distance les uns des autres, aux quatre angles du grand orchestre, formé d’une masse imposante d’instruments à cordes, de tous les autres instruments à vent doublés et triplés, et de dix Timbaliers jouant sur huit paires de Timbales accordées en différents tons. Il est bien certain que les effets spéciaux obtenus par cette nouvelle forme d’orchestre étaient absolument impossibles avec toute autre.