C’est ici le lieu de faire remarquer l’importance des divers points de départ des sons. Certaines parties d’un orchestre sont destinées par le compositeur à s’interroger et à se répondre ; or cette intention ne devient manifeste et belle que si les groupes entre lesquels le dialogue est établi sont suffisamment éloignés les uns des autres. Le compositeur doit donc, dans sa partition, indiquer pour eux la disposition qu’il juge convenable.
Pour les Tambours, grosses Caisses, Cymbales, Timbales, par exemple, s’ils sont employés à frapper certains rhythmes tous à la fois d’après le procédé vulgaire, ils peuvent rester réunis ; mais s’ils exécutent un rhythme dialogué, dont un fragment est frappé par les grosses Caisses et Cymbales, et l’autre par les Timbales et Tambours, sans aucun doute l’effet deviendra incomparablement meilleur, plus intéressant, plus beau, en plaçant les deux masses d’instruments à percussion aux deux extrémités de l’orchestre, et conséquemment, à une assez grande distance l’une de l’autre. D’où il suit que la constante uniformité des masses d’exécution est un des plus grands obstacles à la production des œuvres monumentales et vraiment nouvelles ; elle est imposée aux compositeurs plus encore par l’usage, la routine, la paresse et le défaut de réflexion que par les raisons d’économie ; raisons malheureusement trop bonnes. Cependant, en France surtout, où la musique est si loin d’être dans les mœurs de la nation, où le gouvernement fait tout pour les théâtres, mais rien pour la musique proprement dite, où les grands capitalistes, prêts à donner cinquante mille francs et plus pour un tableau de grand maître, parce que cela représente une valeur, ne dépenseraient pas cinquante francs pour rendre possible, une fois l’an, quelque solennité digne d’une nation comme la nôtre, et propre à mettre en évidence les ressources musicales très nombreuses qu’elle possède réellement sans qu’on puisse les utiliser.
Il serait pourtant curieux d’essayer une fois, dans une composition écrite ad hoc, l’emploi simultané de toutes les forces musicales qu’on peut réunir à Paris. En supposant qu’un maitre les eut à ses ordres, dans un vaste local disposé pour cet objet par un architecte acousticien et musicien, il devrait, avant d’écrire, déterminer avec précision le plan et l’arrangement de cet immense orchestre, et les avoir ensuite toujours présents à l’esprit en écrivant. On pense bien qu’il doit être d’une haute importance, dans l’emploi d’une aussi énorme masse musicale, de tenir compte de l’éloignement ou du voisinage des différents groupes qui la composent ; cette condition est on ne peut plus essentielle pour arriver à en tirer tout le parti possible, et pour calculer avec certitude la portée des effets. Jusqu’à présent dans les Festivals, on n’a entendu que l’orchestre et le chœur ordinaires dont les parties étaient quadruplées ou quintuplées, selon le nombre plus ou moins grand des exécutants ; mais ici il s’agirait de tout autre chose, et le compositeur qui voudrait mettre en relief les ressources prodigieuses et innombrables d’un pareil instrument, aurait à coup sur à remplir une tâche nouvelle.
Voici comment avec le temps, les soins et les dépenses nécessaires on pourrait le créer à Paris. La disposition des groupes facultative et subordonnée aux intentions du compositeur ; les instruments à percussion, dont l’action sur le rhythme est irrésistible, et qui retardent toujours quand ils sont loin du chef d’orchestre, devraient en tout cas, je l’ai déjà dit, être placés assez près de lui pour pouvoir obéir instantanément et rigoureusement aux moindres variations du mouvement et de la mesure.
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