Page:Berlioz - Traité d’instrumentation et d’orchestration.djvu/305

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un grand chant grave, exécuté par toutes les Basses à vent et l’Orgue, et accompagné à l’aigu par les Flûtes, Hautbois, Clarinettes, et les Violons divisés.

Etc, etc, etc…

Le système de répétitions à établir pour cet orchestre colossal ne saurait être douteux : c’est celui qu’il faut adopter toutes les fois qu’il s’agit de monter un ouvrage de grandes dimensions, dont le plan est complexe et dont certaines parties ou l’ensemble offrent des difficultés d’exécution : c’est le système des répétitions partielles. Voici donc comment le chef d’orchestre procédera dans ce travail analytique.

Je suppose qu’il connait à fond et jusques dans les moindres détails la partition qu’il va faire exécuter. Il nommera d’abord deux sous-chefs qui devront, en marquant les temps de la mesure dans les répétitions d’ensemble, avoir continuellement les yeux sur lui, pour communiquer le mouvement aux masses trop éloignées du centre. Il choisira ensuite des répétiteurs pour chacun des groupes vocaux et instrumentaux.

Il les fera répéter eux-mêmes préliminairement pour les bien instruire de la manière dont ils doivent diriger la part des études qui leur est confiée.

Le premier fera répéter isolément les premiers Soprani, ensuite les seconds, puis les premiers et les seconds ensemble.

Le second répétiteur exercera de la même façon les Ténors premiers et seconds.

Il en sera ainsi du troisième pour les Basses. Après quoi on formera trois chœurs composés chacun d’un tiers de la masse totale : puis enfin le chœur sera exercé dans son entier.

On se servira pour accompagner ces études chorales, soit d’un Orgue, soit d’un Piano aidé de quelques instruments à cordes, Violons et Basses.

Les sous-chefs et les répétiteurs de l’orchestre exciteront isolement d’après la même méthode :

Les Violons premiers et seconds séparément, puis tous les Violons réunis.
Les Altos, Violoncelles, et contre-Basses séparément, puis tous ensemble.
La masse entière des instruments à archet.
Les Harpes seules.
Les Pianos seuls.
Les Harpes et Pianos réunis.
Les instruments à vent (de bois) seuls.
Les instruments à vent (de cuivre) seuls.
Tous les instruments à vent réunis.
10° Les instruments à percussion seuls, en enseignant surtout aux Timbaliers à bien accorder leurs Timbales.
11° Les instruments à percussion réunis aux instruments à vent.
12.° Enfin toute la masse instrumentale et vocale réunie sous la direction du chef d’orchestre.

Ce procédé aura pour résultat d’amener d’abord une exécution excellente qu’on n’obtiendrait pas avec l’ancien système d’études collectives, et de n’exiger de chaque exécutant que quatre répétitions au plus. Qu’on ne néglige pas en pareil cas de répandre à profusion des diapasons dans l’orchestre, c’est le seul moyen de maintenir bien exactement l’accord de cette foule d’instruments de nature et de tempéraments si divers.

Le préjugé vulgaire appelle bruyants les grands orchestres : s’ils sont bien composés, bien exercés et bien dirigés ; et s’ils exécutent de la vraie musique, c’est puissants qu’il faut dire : et, certes, rien n’est plus dissemblable que le sens de ces deux expressions. Un petit mesquin orchestre de vaudeville peut être bruyant, quand une grande masse de musiciens convenablement employée sera d’une douceur extrême, et produira, même dans ses violents éclats, les sons les plus beaux. Trois Trombones mal placés paraîtront bruyants, insupportables, et l’instant d’après, dans la même salle, douze Trombones étonneront le public par leur noble et puissante harmonie.

Il y a plus : les unissons n’acquièrent de valeur réelle qu’en se multipliant au delà d’un certain nombre. Ainsi quatre Violons de première force jouant ensemble la même partie produiront un effet assez disgracieux, peut être même détestable, là ou quinze Violons d’un talent ordinaire seront excellents. Voilà pourquoi les petits orchestres, quelque soit le mérite des exécutants qui le composent, ont si peu d’action, et conséquemment si peu de valeur.

Mais dans les mille combinaisons praticables avec l’orchestre monumental que nous venons de décrire, résideraient une richesse harmonique, une variété de timbres, une succession de contrastes qu’on ne peut comparer à rien de ce qui a été fait dans l’art jusqu’à ce jour, et par dessus tout une incalculable puissance mélodique, expressive et rhythmique, une force pénétrante à nulle autre pareille, une sensibilité prodigieuse pour les nuances d’ensemble et de détail. Son repos serait majestueux comme le sommeil de l’océan : ses agitations rappelleraient l’ouragan des tropiques, ses explosions, les cris des volcans ; on y retrouverait les plaintes, les murmures, les bruits mystérieux des forêts vierges, les clameurs, les prières, les chants de triomphe ou de deuil d’un peuple à l’âme expansive, au cœur ardent, aux fougueuses passions ; son silence imposerait la crainte par sa solennité ; et les organisations les plus rebelles frémiraient à voir son crescendo grandir en rugissant, comme un immense et sublime incendie !…

FIN.