Une circonstance difficile se présente quelquefois : c’est quand, dans une partition, certaines parties sont, pour obtenir un contraste, rhythmées à trois pendant que les autres parties conservent le rhythme à deux.
Sans doute, si la partie des instruments à vent dans cet exemple est confiée à des Musiciens très musiciens, il n’y a pas de nécessité de changer la manière de marquer la mesure, et le chef peut continuer à la subdiviser par six ou à la diviser simplement en deux ; mais la plupart des exécutants paraissent hésiter au moment où, par l’emploi de la forme syncopée, le rhythme ternaire intervient dans le rhythme binaire et s’y mêle, voici le moyen de leur donner de l’assurance. L’inquiétude que leur cause la subite apparition de ce rhythme inattendu et que le reste de l’orchestre contrarie, porte toujours instinctivement les exécutants à jeter un coup d’œil sur le chef, comme pour lui demander assistance. Celui-ci doit alors les regarder aussi, se tourner un peu vers eux et leur marquer par de très petits gestes le rhythme ternaire, comme si la mesure était à trois temps réels, de telle façon que les violons et les autres instruments jouant dans le rhythme binaire ne puissent remarquer ce changement qui les dérangerait tout à fait. Il résulte de ce compromis que le rhythme nouveau à trois, étant marqué secrètement par le chef, s’exécute alors avec assurance, pendant que le rhythme à deux, déjà fermement établi, se continue sans peine, bien que le chef ne le dessine plus.
D’un autre côté, rien, à mon avis, n’est plus blâmable et plus contraire au bon sens musical, que l’application de ce procédé aux passages où il n’y a pas la superposition de deux rhythmes de natures opposées, et où se rencontrent seulement l’emploi des syncopes. Le chef, divisant la mesure par le nombre des accents qui s’y trouvent contenus, détruit alors l’effet de la forme syncopée, pour tous les auditeurs qui le voient, et substitue un plat changement de mesure à un jeu de rhythme du plus piquant intérêt. C’est ce qui arrive si l’on marque les accents au lieu des temps, dans ce passage de la Symphonie pastorale de Beethoven :
et si l’on fait les six gestes ci-dessus indiqués au lieu des quatre établis auparavant, qui laissent apercevoir et font mieux sentir la syncope :
Cette soumission volontaire à une forme rhythmique que l’auteur a destinée à être contrariée, est une des plus élémentaires fautes de style qu’un batteur de mesure puisse commettre.
Il est une autre difficulté très inquiétante pour le chef d’orchestre et pour laquelle il a besoin de toute sa présence d’esprit ; c’est celle que présente la superposition de mesures différentes. Il est aisé de conduire une mesure à deux temps binaires placée au dessus ou au dessous d’une autre mesure à deux temps ternaires, si l’une et l’autre sont dans le même mouvement ; elles sont alors égales en durée, et il ne s’agit que de les diviser par leur moitié en marquant les deux temps principaux.