Page:Berlioz - Traité d’instrumentation et d’orchestration.djvu/316

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Souvent, après un point d’orgue, par exemple, le chef est obligé de s’abstenir de faire le geste décisif qui va déterminer l’attaque de l’orchestre, jusqu’à ce qu’il voie les yeux de tous les musiciens fixés sur lui. C’est au chef, pendant les répétitions, de les accoutumer à le regarder simultanément au moment opportun.


\language "italiano"
  \relative do''' {
  \clef treble
  \key mi \major
  \once \override Staff.TimeSignature.style = #'single-digit
  \time 3/4
  si4(\(^\markup{\italic \right-align {Allegretto.}}\fermata si8[) dod16 red]\) mi8 r8  \bar "||"
}
\header { tagline = ##f}
\paper {
  indent = 0
  line-width = #120
}

Si, dans la mesure ci-jointe, dont le premier temps portant un point d’orgue peut être prolongé indéfiniment, on n’observait pas la règle que je viens d’indiquer, le trait


\language "italiano"
  \relative do''' {
  \override Staff.TimeSignature #'stencil = ##f
  \clef treble
  \key do \major
  \cadenzaOn
   dod16[\( red] mi8\) r8 \bar "||"
}
\header { tagline = ##f}
\paper {
  indent = 0
  line-width = #120
}


ne pourrait être lancé avec aplomb et ensemble, les musiciens qui ne regardent pas le bâton conducteur ne pouvant savoir quand le chef détermine le second temps et reprend le mouvement suspendu par le point d’orgue.

Cette obligation pour les exécutants de regarder leur chef implique nécessairement pour celui-ci l’obligation de se laisser bien voir par eux. Il doit quelle que soit la disposition de l’orchestre, sur des gradins ou sur un plan horizontal, s’arranger de façon à être le centre de tous les rayons visuels.

Il faut au chef d’orchestre, pour l’exhausser et le mettre bien en vue, une estrade spéciale, d’autant plus élevée que le nombre des exécutants est plus grand et occupe un plus vaste espace. Que son pupitre ne soit pas assez haut pour que la planchette portant la partition cache sa figure. Car l’expression de son visage entre pour beaucoup dans l’influence qu’il exerce, et si le chef n’existe pas pour un orchestre qui ne sait ou ne veut pas le regarder, il n’existe guère davantage s’il ne peut être bien vu.

Quant à l’emploi d’un bruit quelconque produit par des coups de bâton du chef sur son pupitre, ou de son pied sur son estrade, on ne peut que le blâmer sans réserve. C’est plus qu’un mauvais moyen, c’est une barbarie.

Seulement si, dans un théâtre, les évolutions de la mise en scène empêchent les choristes de voir le bâton conducteur, le chef est obligé, pour assurer après un silence l’attaque du chœur, d’indiquer cette attaque en marquant le temps qui la précède par un léger coup de bâton sur son pupitre. Cette circonstance exceptionnelle est la seule qui puisse justifier l’emploi d’un bruit indicateur ; encore est-il regrettable qu’on soit obligé d’y recourir.

À propos des choristes et de leur action dans les théâtres, il est bon de dire ici, que les directeurs du chant se permettent souvent de marquer la mesure dans les coulisses, sans voir le bâton du chef, souvent sans même entendre l’orchestre. Il en résulte que cette mesure arbitraire, battue plus ou moins mal, ne pouvant s’accorder avec celle du chef, établit inévitablement une discordance rhythmique entre les chœurs et le groupe instrumental, et bouleverse l’ensemble au lieu de contribuer à l’établir.

Autre barbarie traditionnelle que le chef d’orchestre intelligent et énergique a pour mission de détruire. Si un chœur ou un morceau instrumental est exécuté derrière la scène sans la participation de l’orchestre principal, un autre chef est absolument nécessaire pour le conduire. Si l’orchestre accompagne ce groupe, le premier chef, qui entend la musique lointaine, est alors rigoureusement tenu de se laisser conduire par le second et de suivre de l’oreille ses mouvements. Mais, si comme il arrive souvent dans la musique moderne, la sonorité du grand orchestre empêche le premier chef d’entendre ce qui s’exécute loin de lui, l’intervention d’un mécanisme spécial conducteur du rhythme devient indispensable pour établir une communication instantanée entre lui et les exécutants éloignés. On a fait en ce genre des essais plus ou moins ingénieux, dont le résultat n’a pas partout répondu à ce qu’on en attendait. Celui du théâtre de Covent Garden à Londres, que le pied du chef d’orchestre fait mouvoir, fonctionne assez bien. Seul le Métronome électrique établi par M. Verbrugghe au théâtre de Bruxelles ne laisse rien à désirer. Il consiste en un appareil de rubans de cuivre, partant d’une pile de Volta placée sous le théâtre, venant s’attacher au pupitre-chef, et aboutissant à un bâton mobile fixé par un de ses bouts sur un pivot, devant une planche à quelque distance que ce soit du chef d’orchestre. Au pupitre de celui-ci est adapté une touche en cuivre assez semblable à une touche de piano, élastique et armée à sa face inférieure d’une protubérance de trois ou quatre lignes de longueur. Immédiatement au dessous de la protubérance se trouve un petit godet en cuivre également et rempli de mercure. Au moment où le chef d’orchestre, voulant marquer un temps quelconque de la mesure, presse avec l’index de sa main gauche, (la droite étant employée à tenir, comme à l’ordinaire, le bâton conducteur) la touche de cuivre, cette touche s’abaisse, la protubérance entre dans le godet plein de mercure, une faible étincelle électrique se dégage et le bâton placé à l’autre extrémité du ruban de cuivre fait une oscillation devant sa planche. Cette communication du fluide et ce mouvement sont tout à fait instantanés, quelle que soit la distance parcourue. Les exécutants étant groupés derrière la scène les yeux fixés sur le bâton du métronome électrique, subissent en conséquence directement l’action du chef, qui pourrait ainsi, s’il le fallait, diriger du milieu de l’orchestre de l’Opéra de Paris un morceau de musique exécuté à Versailles. Il est important seulement de convenir d’avance avec les choristes, ou avec leur conducteur (si, par surcroît de précaution, ils en ont un) de la manière dont le chef marquera la mesure, s’il marquera tous les temps principaux ou le premier temps seulement : les oscillations du bâton mû par l’électricité étant toujours d’arrière en avant, n’indiquent rien de précis à cet égard !